A en juger par la capacité de mobilisation des trois principaux candidats à l’élection présidentielle, l’un d’entre eux se détache très nettement du lot. Reste à savoir si, le 23 décembre prochain, le vote des Congolais sera respecté. Sur ce plan, le pire est à craindre.
Emmanuel Ramazani Shadary, plombé par l’impopularité de Joseph Kabila
La campagne électorale du candidat du Front Commun pour le Congo (FCC), la plate-forme présidentielle, a démarré à Kinshasa (le 23 novembre), avant de se poursuivre dans l’ex-Katanga (à partir du 26 novembre)… A ce jour, Emmanuel Ramazani Shadary a visité dix provinces sur les 26 que compte le pays. Si les meetings et les stades sont à moitié pleins, grâce à la mobilisation forcée des fonctionnaires et à la distribution généreuse de billets de banque, l’accueil de la population est franchement hostile (lire à ce sujet nos articles relatifs au Haut-Katanga et au Haut-Lomami). « Plusieurs fois, le convoi de l’ancien ministre de l’Intérieur ou sa caravane de campagne ont été conspués ou caillassés », relève Christophe Rigaud du site d’information Afrikarabia. Signe de la forte impopularité du dauphin de Joseph Kabila, à Goma, les candidats députés nationaux et provinciaux ont été contraints de retirer le nom de Shadary de leurs affiches pour éviter qu’elles ne soient systématiquement déchirées. De même, ils évitent désormais de prononcer son nom lors des meetings de peur d’être hués par la population (lire notre article à ce sujet). C’est également le cas dans l’ex-Katanga.
Un ticket Tshisekedi-Kamerhe au vivier électoral très limité
C’est à l’est du pays, là où se trouvent les principaux réservoirs de voix que Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe ont choisi de lancer leur campagne. Si à Bukavu, le fief du président de l’UNC, le duo a fait le plein (le 6 décembre), ailleurs la mobilisation a été bien moindre. Ce fut le cas dans le Nord Kivu à Goma (le 4 décembre) ou à Bunia (le 9 décembre où le ticket Tshisekedi-Kamerhe n’a réuni qu’une petite centaine de curieux lors de leur meeting) mais aussi dans le Sud-Kivu ailleurs qu’à Bukavu (à Uvira le 7 décembre). Si c’est au pied du mur qu’on juge le maçon, force est de constater que la base électorale de ce ticket, composé sous l’œil bienveillant de la kabilie, est à l’évidence relativement étriquée. Elle se limite pour l’essentiel à Bukavu, la capitale du Sud-Kivu, et au Kasaï, fief de l’UDPS. Probablement insuffisant pour faire un bon score à la régulière.
La « surprise » Fayulu
Tout le contraire en réalité de Martin Fayulu, originaire du Bandundu (centre-ouest du pays) qui a lui aussi choisi de lancer sa campagne à l’est. Le moins que l’on puisse dire est que ses débuts de candidat ont été tonitruants. Chacun de ses meetings a réuni une foule considérable. Que ce soit à Beni (le 5 décembre), à Butembo et à Goma (le 6), à Bunia (le 7) ou à Kinsagani (le 8). « La surprise de cette première partie de campagne vient sans nul doute de la mobilisation populaire qui s’est cristallisée autour de Martin Fayulu », note le journaliste Christophe Rigaud.
A l’est, Martin Fayulu a pu bénéficier de l’ombre portée de Moïse Katumbi et de ses soutiens (Pierre Lumbi, Antipas Mbusa…). Et encore la mobilisation sera sans doute supérieure dans l’ex-Katanga, le bastion électoral de M. Katumbi, ainsi que dans l’ouest où l’homme fort est Jean-Pierre Bemba, le patron du MLC, l’autre de ses grands soutiens, sans compter le Bandundu d’où Martin Fayulu est originaire. Il apparaît ainsi clairement que, de tous les candidats, celui soutenu par la plate-forme Lamuka dispose des réserves de voix les plus importantes aux quatre coins du pays.
Le pouvoir ne s’y trompe d’ailleurs pas. Alors que la campagne des autres candidats se déroule sans encombre, celle de Martin Fayulu est parsemée d’embûches. Dimanche 9 décembre, son avion n’a pu atterrir à Kindu dans le Maniema, M. Kabila souhaitant éviter au régime l’affront d’un accueil populaire massif dans la province d’origine de son dauphin, Emmanuel Ramazani Shadary. Rebelote le lendemain, l’avion de M. Fayulu se dirigeant en direction de Bukavu dans le Sud-Kivu, la population a été interdite de s’y rendre pour l’accueillir au moyen du déploiement d’un impressionnant dispositif policier. Ce lundi 10 décembre au soir, des tirs se sont faits entendre à Lubumbashi alors que le candidat de la plate-forme Lamuka y est attendu demain. Une manière préventive de dissuader la population de sortir pour venir à sa rencontre.
Reste la principale question : le vote des Congolais sera-t-il respecté ? Il y a fort à parier que non. Personne en RDC n’envisage sérieusement un scrutin crédible et transparent. Joseph Kabila a posé depuis plusieurs mois déjà tous les jalons en vue d’une vaste fraude : machine à voter à la fiabilité plus que douteuse, fichier électoral vicié, opposants politiques dangereux écartés, composition de la cour constitutionnelle et de l’état major des armées remaniées… Après s’être donné tant de peine, on voit mal M. Kabila accepter à la régulière le verdict des urnes. C’est ainsi que, sauf improbable surprise, le candidat officiellement déclaré vainqueur à l’issue du vote le 23 décembre prochain sera celui des trois grands candidats qui aura obtenu le moins de voix : Emmanuel Ramazani Shadary.