Le dauphin de Joseph Kabila n’a pas besoin de vider ses poches pour faire campagne. D’importantes ressources lui sont allouées qui émanent du Trésor, des provinces, des villes, des entreprises publiques, mais également de sociétés privés, notamment dans le secteur minier. A tous, il leur a été demandé de soutenir financièrement le candidat du régime. Exemple lors de la venue d’Emmanuel Ramazani Shadary cette semaine à Lubumbashi.
Par Jacky Wetu, l’un de nos correspondants à Lubumbashi
Lubumbashi, le 26 novembre 2018. Emmanuel Ramazani Shadary débarque à l’aéroport de la Luano aux environs de 14h00, heure locale. Une pluie battante arrose la ville qui en est privée depuis près de trois mois. Au passage, la venue du dauphin de Joseph Kabila dans la capitale cuprifère est un démenti par rapport au prétendu complot fomenté par quelque opposant destiné à l’éliminer physiquement, prétexte pour repousser sa venue dans le Haut-Katanga initialement prévue en fin de semaine dernière (lire notre précédent article à ce sujet).
« La vie des institutions ne s’arrête pas avec la campagne électorale ». C’est en ces termes quelque peu obscures qu’au micro de Tonny Mutung, journaliste à la télévision publique RTNC/Katanga, le ministre national de la Communication, Lambert Mende, a justifié l’arrivée ce week-end de l’équipe d’avance du candidat.
Le dir cab de Joseph Kabila et les ministres venus soutenir Shadary à Lubumbashi
Samedi et dimanche passés, des ténors du FCC, pompeusement qualifiés de « membres du comité stratégique », ont précédé leur poulain. Il s’agit de Néhémie Mwilanya Wilondja, le directeur de cabinet de Joseph Kabila, Azarias Ruberwa, le ministre de la Décentralisation et des Réformes, Alexis Thambwe Mwamba, le ministre de la Justice, ainsi que Lambert Mende, le ministre de la Communication. « Joseph Kabila a permis que ces caciques du régime désertent leurs cabinets huppés de Kinshasa pour servir de béquilles au candidat d’un pouvoir en perte de vitesse et très impopulaire ici au Katanga », ironise un responsable local de l’opposition.
Manifestement, ces figures du régime de Kinshasa ne se soucient guère du code de bonne conduite des partis et regroupements politiques, ainsi que du code électoral. En effet, tous deux disposent que « les partis politiques, les regroupements politiques et les candidats aux élections s’engagent à ne pas utiliser les forces armées, les forces de l’ordre, les forces de sécurité, les milices, les biens, les fonds et les autres moyens de l’Etat et des entreprises du portefeuille pour des fins électorales ».
Forces de l’ordre sur-mobilisées
Ce lundi 26 novembre à Lubumbashi, ces dispositions sont des plus théoriques. Le Front Commun pour le Congo (FCC), la plate-forme électorale soutenant le dauphin de Joseph Kabila, s’en affranchit ouvertement et sans pudeur aucune. En effet, non contente de débaucher des ministres, gouverneurs et hauts-cadres publics mis à la disposition du candidat Shadary, la plate-forme de la majorité a également réquisitionné la police, l’ANR, les FARDC et ses engins militaires pour sécuriser à l’excès le candidat.
Argent distribué à la foule pour acclamer le candidat du pouvoir
Sylvie Mukembe fait partie de l’Association socio- culturelle Lwanzo lwa Mikuba dont chacun des membres a reçu 15 000 francs congolais, un T-shirt et un polo pour aller accueillir le candidat à l’aéroport de Luano. D’un ton naïf et admirateur, elle raconte ce qu’elle a vu : « il y avait plus de cent policiers, des militaires et deux auto-blindées. Shadary était bien sécurisé. Le long du trajet, de l’aéroport au stade de la Kenya, la police était déployée dans tous les lieux stratégiques. C’est formidable ce que j’ai vu », s’exclame t-elle, encore toute éberluée par ce déploiement de force, cette débauche de moyens. Pourtant, il y a quelques semaines, le haut le haut-commandement de la police nationale avait promis de mettre à disposition 25 agents pour la sécurité de chacun des candidats à la présidence de la République. Emmanuel Ramazani Shadary bénéficie manifestement d’un régime dérogatoire…
La Gécamines d’Albert Yuma mise à contribution
Mais même avec les moyens de l’Etat réquisitionnés pour l’occasion, la prise en charge du budget de la campagne électorale s’avère un défi majeur pour le FCC. D’où le recours à des « partenaires » comme la Gécamines, les gouvernements provinciaux, les associations de chauffeurs ou encore les associations socio-culturelles.
« On sait ici que le Président du Conseil d’administration, Albert Yuma, et le Directeur Général de cette entreprise, Jacques Kamenga, ont été désignés comme membres de la cellule financière pour la campagne de Shadary », indique plusieurs sources au sein de l’entreprise. Des informations recueillies auprès de certains agents sur place montrent le soutien direct de la Gécamines au candidat Shadary. L’un d’eux raconte : « le 7 août dernier, un jour avant la réunion de Kingakati lors de laquelle Shadary a été désigné comme dauphin de Joseph Kabila, les forces vives de la ville étaient invitées à une marche de soutien en faveur du processus électoral. Ce jour là, les responsables syndicaux avaient défilé avec un calicot portant la mention suivante : ‘Jamais nous ne scieront l’arbre sur lequel nous sommes assis. Gécamines soutient le processus électoral’ ». Un message pour le moins explicite.
Responsables syndicaux achetés
Étaient notamment présents lors de cette marche Delphin Kabila, le président du bureau syndical permanent (BSP); Banza Hembe, son adjoint; Kambeya Kilongo, le permanent syndical du groupe Sud ; son suppléant, Tshoma Alama ; Katshong, un délégué syndical, etc. Une prime de 160.000 francs congolais a été remise aux délégués syndicaux qui ont pris part à cette manifestation purement politique, qui n’a rien à voir avec l’objet de l’entreprise. En récompense à son militantisme ouvertement affiché, le délégué Katshong a même été nommé dans la foulée président du PPRD GCM, tandis que le BSP Delphin Kabila, accusé lui de faire preuve de moins d’enthousiasme, a éte récusé et écarté de ses fonctions syndicales par les autres délégués.
Casquettes et polos siglés Gécamines à l’effigie de Shadary
A l’occasion de la venue de Shadary pour le lancement de sa campagne dans le grand Katanga, la Gécamines a fait imprimer des polos à l’effigie du candidat portant la mention : « Agent Gécamines ». Des casquettes ont également été achetées. Le tout a été distribué aux agents de l’usine de Lubumbashi au sein des différents départements, ainsi qu’aux délégués syndicaux, toutes entreprises du groupe confondues. « Nous avons reçu chacun 10 US dollars pour l’accueil ; avec le polo et de la casquette, cela doit monter dans les 15 US dollars. Si on prend un minimum de 1000 polos et 1000 casquettes distribués, le total atteint facilement les 15 000 dollars rien que pour Lubumbashi. Je me demande combien ils dépenseront à Kolwezi ? », s’interroge ce délégué syndical.
Partenaires chinois sollicités
Dans le secteur minier, la Gécamines n’est pas la seule entreprise à avoir été mise à contribution. C’est le cas notamment le cas des sociétés minières chinoises qui opèrent dans la province. Celles-ci ont elles aussi été priées de verser leur obole afin de participer à l’effort de campagne (voir photo ci-dessous).
Le gouvernorat du Haut-Katanga et la mairie de Lubumbashi eux aussi mis à contribution
Le gouvernorat et la mairie ont eux aussi été mis à contribution. La mairie de Lubumbashi dispose de panneaux publicitaires disséminées à travers la ville. Le minimum à payer par ceux qui les louent est de 1 000 dollars. « Il suffit de compter le nombre de panneaux pris par le candidat Shadary pour se faire une idée du montant que la municipalité aurait dû empocher si elle les avait loués », explique un cambiste. A cela, il faudrait ajouter le coût de la photo du dauphin reproduite sur de grands panneaux de publi-inter.
Au total, combien a-t-il été dépensé à ce jour pour la publicité à Lubumbashi et dans le reste du pays ? Au cours de l’émission Dialogue entre Congolais sur la Radio Okapi, le porte parole de Shadary a justifié toutes les dépenses de campagne comme résultant des cotisations des membres du FCC. Au vu de ce qu’il a été dépensé rien qu’à Lubumbashi, il est permis d’en douter. Un exemple, dans la nuit du 24 au 25 novembre, le Gouverneur Pande a remis 16 000 francs congolais à chaque chef de groupe qui avait mobilisé 250 personnes pour l’accueil du dauphin de Joseph Kabila.
Le lendemain, 26 novembre, de nombreux agents du gouvernorat et de la mairie ont été payés et déployés dans différentes stations de bus et de taxis pour louer des véhicules et soudoyer des gens. Cela s’est passé notamment sur l’avenue Maman Yemo, en face de la polyclinique Medicare où les prix de taxis ont été négociés à 15 000 francs congolais. Sur l’avenue Kapenda, les Lushois qui ont accepté de se rendre à l’aéroport ont, eux, reçu 10 000 francs congolais chacun.
Aucun membre de l’équipe de campagne n’a été vu en train de remettre ces sommes aux interessés. Ceux qui s’en sont chargés ? Des fonctionnaires de l’Etat.