Cinq mois après les « élections » législatives en RDC, le gouvernement a enfin été nommé dans la nuit du mercredi 29 mai. La première ministre Judith Suminwa Tuluka n’a pas eu son mot à dire dans la constitution de la nouvelle équipe composée par Félix Tshisekedi et son entourage et dont les poids lourds ont été écartés.
Le premier et principal enseignement à tirer de ce nouveau gouvernement, qui compte 54 membres (dont 17 femmes) contre 57 pour l’équipe précédente, c’est la sanction des ministres impliqués dans le conflit à l’est de la RDC : Affaires étrangères, Défense et Coopération sous-régionale.
Exit Christophe Lutundula, débarqué. Le transfuge d’Ensemble pour la République est remplacé aux Affaires étrangères par Thérèse Kayiwamba. Idem pour Mbusa Nyamwisi, très proche du président ougandais Yoweri Museveni. Le portefeuille de la Coopération sous-régionale qu’il occupait est supprimé.
Le sort de Jean-Pierre Bemba est à peine meilleur. Les FARDC et leurs alliés étant à la peine face aux rebelles du M23 dans le conflit à l’est du pays, le président du MLC est rétrogradé de ministre de la Défense, dont le nouveau titulaire est Guy Kabombo, à celui des Transports. Il conserve toutefois son rang de vice-premier ministre et de numéro 3 du gouvernement.
« Bemba ne doit son maintien au Gouvernement qu’à son poids politique dans l’Equateur, même s’il a beaucoup perdu de sa superbe, voire à son pouvoir de nuisance », grince un opposant qui le connait bien. « Aux Transports, Bemba n’aura pas le même pouvoir qu’à la Défense. On l’a sans doute mis là par compensation, pour qu’il continue de manger quelques commissions lors des appels d’offres. L’argent, c’est tout ce qui l’intéresse », ajoute-t-il.
L’UDPS se taille la part du lion
Mais pas sûr que les nouveaux arrivants fassent mieux que leurs prédécesseurs. Le profil du nouveau ministre de la Défense en particulier interroge. « En temps normal, nommer un ministre de la Défense comme Guy Kabombo qui n’a aucune expérience de la chose militaire aurait pu passer sans problème. Mais il y a la guerre à l’est. Ce choix parait du coup surprenant », réagit un expert en sécurité pour qui ce gouvernement « a l’air de tout sauf d’un gouvernement de crise ».
Et pour cause, Félix Tshisekedi en a verrouillé l’accès à ses proches. « C’est l’UDPS qui se taille la part du lion. La loyauté est le critère qui a primé sur tous les autres, avant la compétence et l’expérience », commente, avec une pointe d’amertume un ministre fraichement débarqué.
L’UDPS reprend la main sur les ministères régaliens, notamment ceux laissés autrefois aux alliés (Défense et Affaires étrangères). En outre, beaucoup des animateurs de la campagne électorale de Félix Tshisekedi pour la présidentielle de décembre 2023 rejoignent l’équipe gouvernementale. C’est le cas de Jacquemain Shabani (Intérieur), Acacia Bandubola (Affaires foncières) ou encore de Guylain Nyembo, l’ancien directeur de cabinet du président (Plan).
Au total, le parti présidentiel et ses mosaïques se sont accaparés 65 % des postes au gouvernement. Les autres ont dû se contenter de la portion congrue, quand ils n’ont pas été tout simplement exclus. C’est le cas en particulier des anciens kabilistes, ou du moins ce qu’il en restait. Tous, à la seule exception de Julien Paluku, l’ancien gouverneur du Nord-Kivu, et dans une moindre mesure de Jean-Lucien Mbusa, passé par le MLC avant de rejoindre le FCC, ont été débarqués.
On note par ailleurs le départ – attendu – du gouvernement de l’ex-ministre des Finances Nicolas Kazadi, accusé de malversations et en disgrâce depuis plusieurs mois. Il est remplacé par Doudou Nfwamba Likunde. Plus surprenant en revanche est le départ de Peter Kazadi, l’ex-ministre de l’Intérieur, que l’on disait très proche de Félix Tshisekedi. Il est remplacé par Jacquemain Shabani, bombardé numéro 2 du gouvernement, considéré comme un modéré.
Gouvernement de transition ?
Enfin, le portefeuille de la Justice revient à Constant Mutamba dont, pour l’anecdote, le nom a été omis lors de la lecture par la porte-parole de la Présidence, Tina Salama, de la composition du nouveau gouvernement. « L’opposant du pouvoir », comme il est qualifié, originaire du Kasaï comme M. Thisekedi et la plupart des dirigeants aujourd’hui en RDC, est-il là pour réellement réformer la « Justice malade », suivant l’expression du président RD congolais, ou bien « faire le sale boulot » comme le craignent certaines organisations des droits de l’Homme ?
Le temps le dira. En attendant, ce gouvernement, nettement moins expérimenté que les précédents et sans véritable poids lourd, comme si Félix Tshisekedi voulait renforcer son emprise, pourrait n’être qu’un gouvernement de transition. En fonction de l’évolution de la situation dans l’est du pays, les cartes pourraient être prochainement rebattues.