Accueil Politique

RDC : Comment Félix Tshisekedi agite le chiffon rouge du Rwanda pour tenter d’interdire Ensemble, le parti de Moïse Katumbi

Moïse Katumbi, l'homme politique le plus populaire en RDC, et son parti Ensemble pour la République, sont depuis longtemps dans le viseur de Félix Tshisekedi © DR

A six mois des élections, le président RD congolais, qui cherche le moyen de faire interdire le parti de Moïse Katumbi, pense avoir trouvé la martingale : accuser Ensemble pour la République de faire valider – avant publication (sic !) – ses communiqués par Kigali. Des accusations fantaisistes mais auxquelles se raccrochent le président et son entourage, prêts à tout pour conserver le pouvoir.

« Nous avons constaté que tous les projets de communiqués émis par le parti politique Ensemble pour la République étaient transmis d’abord à Kigali pour leur validation par le général Nzambamwita, chef du renseignement civil de la République Rwandaise », a déclaré le colonel Ngodi Ngodi lundi 5 juin lors d’une conférence de presse surréaliste consacrée à l’Affaire Salomon Kalonda (lire notre article). « Tout ce que nous disons ici est confirmé par un cadre repenti du M23/RDF en détention ici à Kinshasa qui réclame même la confrontation avec l’accusé », a-t-il insisté.

Cette accusation, comme les autres d’ailleurs, ne provient pas de la Demiap, les services de renseignement militaires RD congolais. C’est la maison civile de la Présidence qui a fourni le communiqué lu lundi par le Colonel Ngodi Ngodi. « Celui que nous avions préparé était très différent », confirme une source, largement recoupée par d’autres témoignages.

Article 24 de la loi n° 04/024 du 12 novembre 2004

Si la Présidence a pris soin de mettre cette accusation dans la bouche de ce colonel de la Demiap, c’est dans un but précis. La loi n° 04/024 du 12 novembre 2004 portant organisation et fonctionnement des partis politiques en RDC dispose en son article 24 qu’« il est interdit, sous peine de dissolution, aux partis politiques de recevoir directement ou indirectement un soutien financier ou matériel provenant d’un Etat étranger. » Cette loi ne prévoit pas, pour l’heure, la validation (avant ou après publication !) des communiqués d’un parti, mais elle pourrait, le moment venu, fort opportunément, être interprétée de façon très extensive. Et permettre ainsi de rejeter la candidature de ses représentants, aux élections locales, législatives et… présidentielle.

Le problème de ce scénario, cousu de fil blanc, c’est que ses coutures sont apparentes. Qu’il est tiré, en somme, par les cheveux. C’est pourquoi, pour éviter toute discussion, forcément gênante, le pouvoir RD congolais, tel un prestidigitateur, a sorti de son chapeau, non un lapin, mais le Rwanda. L’argument d’autorité par excellence en la circonstance. « Parler du Rwanda à la population congolaise, c’est comme agiter un chiffon rouge au nez d’un taureau. Les gens perdent toute rationalité, toute objectivité. Ça permet de justifier toutes les dérives, tous les excès », expliquait récemment dans une interview l’avocat Hervé Diakiese (la lire ici).

Sur le Rwanda, Tshisekedi « veut la faire à l’envers »

Mais évoquer le Rwanda, c’est aussi, pour employer une expression triviale, « tenter de la faire à l’envers ». En effet, comme l’explique un chercheur en poste en Belgique, « ces accusations peu crédibles permettent de faire oublier les accointances de 2019 à 2021 entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame (…) » Celui-ci rappelle par ailleurs un épisode important : « Il ne faut pas oublier que c’est Félix Tshisekedi qui, début 2020, a convié le M23 à l’Hôtel du Fleuve. Il avait à l’époque pour projet de faire appel à eux pour remplacer la Garde républicaine, réputée acquise à Joseph Kabila (…) Aujourd’hui, ce genre de débat permet de reléguer au second plan le fait que le pouvoir est incapable de mener cette guerre à l’est et que sa stratégie en la matière est totalement erratique », conclut-il.

Félix Tshisekedi ira-t-il jusqu’au bout de son projet d’interdire Ensemble ? Cet ambassadeur, en poste dans la sous-région, n’en ai pas certain. « La pression est forte, tant à l’intérieur du pays comme à l’extérieur, pour que les élections, la présidentielle en particulier, soient réellement inclusives. Les Etats-Unis, entre autres, en ont fait une ligne rouge (…) Mais le simple fait de laisser planer l’idée qu’Ensemble pourrait être interdit au moment où les candidatures pour les législatives doivent être déposées n’est pas un hasard. Ça vise à dissuader les candidats potentiels de s’engager au sein de ce parti et donc à l’affaiblir », explique le diplomate.

Pour franchir l’obstacle électoral, deux précautions valent mieux qu’une

Celui-ci n’hésite pas d’ailleurs à établir un parallèle avec la proposition de loi dite Tshiani. « Cette proposition de loi, le pouvoir sait qu’il est impossible pour lui quasiment de l’imposer. Mais le seul fait de la maintenir dans le débat public comme s’y emploient les autorités congolaises depuis des mois, donc de laisser planer la menace, suffit à instiller le doute sur le terrain. En tout cas, c’est ce qu’espèrent ses promoteurs. »

A l’approche des élections, théoriquement prévues fin décembre, le régime de Félix Tshisekedi, qui n’a plus rien à envier en termes de répression de l’opposition à celui de Joseph Kabila, paraît de plus en plus fébrile. Au point que fausser les élections en organisant une fraude massive ne lui semble plus suffisant. Il cherche en outre à écarter certains candidats du processus électoral. Un en particulier : Moïse Katumbi.  On ne sait jamais, deux précautions valent mieux qu’une.