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RDC/Interview : « Dans sa dérive autoritaire et répressive, Félix Tshisekedi est encore moins excusable que Joseph Kabila » (Me Hervé Diakiese)

Me Hervé Diakiese est l'un des avocats les plus respectés en RDC © DR

Il est une figure très respectée en RDC. Me Hervé Diakiese est le porte-parole du Comité Laïc de coordination, le CLC, l’une des organisations RD congolaises les plus écoutées dans le pays comme à l’extérieur. Mais c’est à titre personnel, en tant qu’avocat et défenseur – infatigable – des droits de l’Homme qu’il a accordé cette interview au Congo Libéré. Celui qui connait sur le bout des doigts le droit congolais et ses subtilités procédurales y revient sur l’arrestation et la détention du bras droit de Moïse Katumbi, Salomon Idi Kalonda Della, qu’il qualifie de « totalement arbitraires et illégales ». Il évoque également la vague de répression sans précédent qui s’abat depuis quelque temps sur l’opposition et dit son inquiétude face au processus électoral. Interview.

Le Congo Libéré : Dans le dossier Salomon Idi Kalonda Della, la Demiap dit avoir respecté les règles de procédure. Est-ce la cas ? 

Me Hervé Diakese : C’est faux. Lors de son interpellation, M. Kalonda Della ne s’est pas vu notifier les charges qui lui étaient reprochées alors même que c’est une obligation constitutionnelle. Cette interpellation, brutale comme le montrent les images vidéos, s’est faite sans mandat de justice, donc de manière arbitraire et illégale. M. Kalonda a ensuite été emmené dans les locaux des services de renseignement et n’a eu accès ni à sa famille, ni à ses avocats. Là-bas, on a interdit que lui soit apporté à boire et à manger, et même ses médicaments. Bref, de la première minute de son arrestation à son septième jour de détention (ce mardi 6 juin, NDLR), tout est fait dans la plus complète illégalité et inconstitutionnalité. M. Kalonda est totalement privé de ses droits les plus élémentaires. C’est intolérable.

Pourquoi la Demiap n’a-t-elle pas communiqué lors de son arrestation à Salomon Kalonda Della les charges qui lui étaient reprochées ? 

Cet élément suffit à lui seul à démontrer le caractère totalement irrégulier de la procédure. Toute personne, quelle qu’elle soit, contre laquelle les instances judiciaires ou administratives initient une procédure, doit être immédiatement informée des faits qui lui sont reprochés. Parce qu’elle a été privée de sa liberté, le corollaire c’est qu’immédiatement on doit l’informée des raisons de cette privation de liberté. Or, pour M. Kalonda Della, ça n’a pas été le cas. L’impression qui est donnée, c’est qu’on l’a arrêté d’abord, puis on a établi les charges ensuite. C’est ainsi que l’on procède dans les Etats policiers.

Comment expliquer qu’à ce jour, en dépit de ce que dispose la Constitution, Salomon Kalonda Della n’est toujours pas accès à un avocat ? 

C’est un autre élément paroxystique de l’irrégularité de cette procédure qui échappe à toute règle de droit. On peut en déduire que les services de renseignement n’avaient rien contre M. Kalonda le jour de son arrestation. Or, ils ne voulaient pas que ça se sache. C’est pourquoi on lui interdit jusqu’à ce jour de voir son avocat. Cela explique aussi pourquoi le pouvoir a attendu six jours avant de communiquer. Ils ont sans doute cherché mais n’ont rien trouvé…. C’est très grave. Tout refus ou même entrave à l’accès à un avocat est une entorse majeure à l’Etat de droit. C’est typique des Etats policier et des régimes dictatoriaux.

Pourquoi selon vous la Demiap a-t-elle pris soin dans sa conférence de presse du mardi 5 juin d’évoquer un lien entre le Rwanda et Salomon Kalonda mais aussi Ensemble et un « ressortissant katangais » ? 

Je resterais factuel. Tout ce que je peux dire, c’est qu’au Congo, le Rwanda est considéré comme une puissance hostile. De ce fait, évoquer le Rwanda devant les populations, c’est comme agiter un chiffon rouge au nez d’un taureau. Toute rationalité, toute objectivité est potentiellement altérée. Et ça permet de justifier, d’excuser, pensent certains, toutes les dérives. Comme le fait de s’exonérer du respect des lois et même de la Constitution puisque, dès lors qu’il s’agit du Rwanda, tout est permis. On est vraiment dans la manipulation des masses, la propagande.

Que pensez-vous d’ailleurs de cette mention de « ressortissant katangais » dans la bouche d’une autorité ? 

C’est extrêmement inquiétant. Surtout de la part d’un représentant de l’armée Et totalement anti-républicain. L’armée est une institution républicaine, apolitique. Toute tentative de l’instrumentaliser à des fins politiques est passible de poursuites pour « haute trahison » en vertu de l’article 188 de la Constitution. Epingler les origines ethniques et provinciales, c’est mettre à l’index toute une communauté, toute une population. C’est illégal, irresponsable et extrêmement dangereux, a fortiori dans le contexte actuel.

Le ministre de la Communication, Patrick Muyaya, a évoqué publiquement à plusieurs reprises l’affaire Salomon Kalonda ? Est-ce son rôle ? 

Cette affaire est été très médiatisée. Le ministre, en sa qualité de porte-parole du gouvernement, a le droit d’évoquer le sujet en public. Cependant, il doit le faire en observant une forme de réserve, de neutralité et en se limitant à des éléments factuels, de contexte. Or, en l’espèce, ce ministre (Patrick Muyaya, NDLR) est entré dans le fond du dossier, allant jusqu’à évoquer des éléments susceptibles de s’y trouver. Ce n’est pas son rôle. C’est d’ailleurs totalement contraire à la Constitution. Car en vertu de la séparation des pouvoirs, il n’est pas censé savoir ce qu’il y a dans ce dossier. En l’espèce, c’est moins le ministre qui semble s’exprimer que le militant politique.

Comment expliquez-vous le raidissement du régime de Félix Tshisekedi qui s’est subitement accéléré depuis la mi-mai ? 

A mon sens, la présence de Moïse Katumbi a Kinshasa, son alliance avec les trois autres figures importantes de l’opposition (Martin Fayulu, Augustin Matata Ponyo, Delly Sesanga, NDLR) et la marche du 20 mai, brutalement réprimée, ont provoqué une forme de panique au sein du pouvoir qui s’est senti menacé à quelques mois de la date officielle des élections. Depuis, on assiste à une vague sans précédent de répression de l’opposition dont l’arrestation, aux atours de kidnapping, de Salomon Kalonda, n’est qu’un élément d’une série qui se poursuit d’ailleurs.

Sur le plan de l’Etat de droit et du respect des libertés fondamentales, voyez-vous une différence entre Félix Tshisekedi et son prédécesseur, Joseph Kabila ? 

La situation sous Félix Tshisekedi commence à devenir pire que sous Joseph Kabila. Même sous Kabila, arrêter ou kidnapper de la sorte un opposant de premier plan en pleine journée sur le tarmac de l’aéroport aurait été inimaginable. Cette mise en scène est faite pour terroriser les opposants. Le message que le pouvoir veut leur envoyer est le suivant : attention, vous aussi vous pouvez être arrêté n’importe quand, n’importe où et n’importe comment. A ce côté répressif assumé et décomplexé, vient s’ajouter l’instrumentalisation de la fibre tribale. On ne voyait pas ça sous Kabila. La répression était forte et nous la dénoncions. Mais il n’y avait pas de milices armées de machette servant de supplétifs aux forces de police pour mater les manifestations de l’opposition, comme on l’a vu le 20 mai dernier. Enfin, ce qui me fait dire que ce que ce que fait aujourd’hui Félix Tshisekedi est pire que Joseph Kabila, c’est parce que lui, Tshisekedi, contrairement à Kabila, n’est pas issu d’un régime militaire qui, même après s’être transformé en régime civil, conserve ses réflexes répressifs. Il n’a pas cette excuse. Il y a quelques années, nous étions dans la rue avec Félix Tshisekedi pour dénoncer la répression contre l’opposition. Depuis, la victime a abandonné ses idéaux et ses principes. Elles s’est transformée en bourreau.

Dans ces conditions, l’organisation d’élections un tant soit peu crédibles vous semble-t-elle possible ? 

Non. Elire, étymologiquement « eligere », c’est faire un choix. Ce qui suppose d’avoir au moins deux vraies options, idéalement plus, à disposition. Or, ce que le régime nous prépare, ce ne sont pas des élections mais une sélection dans laquelle il dicte ses choix. Le camp Tshisekedi veut être plébiscité. Pour ce faire, il biaise la procédure électorale et s’efforce de mettre à l’écart tout adversaire dangereux. C’est l’assurance d’un chaos électoral annoncé qui risque de plonger le pays dans un chaos tout court. Et c’est ce régime, qui cherche à se maintenir par la force et par la triche, qui en est totalement responsable.