Tirant les ficelles en coulisse, Joseph Kabila a obtenu la tête du président de la Fondation katangaise, une institution très influente dans cette ex-province de l’est de la RDC. Son tort : avoir refusé de soutenir le dauphin qu’il a désigné en vue de l’élection présidentielle. Mais l’intéressé ne s’en laisse et est prêt à livrer bataille.
Par Jacques Wetu, notre correspondant à Lubumbashi
Mercredi 24 octobre 2018. Le décor est planté pour un semblant de vote dans la salle de réunion de l’hôtel de ville de Lubumbashi. C’est l’épilogue d’un feuilleton qui aura duré plusieurs mois (lire nos précédents articles à ce sujet ici et ici) et qui a, pour prétexte non-avoué, l’alternance (un mot en vogue en RDC…) au sein de la direction des associations socio-culturelles du Grand-Katanga, à commencer par la première d’entre-elles, la Fondation katangaise.
Le comité de direction de cette fondation, élu pour un mandat de deux ans selon l’article 19 des statuts, a bien « glissé » car cela fait plus de deux ans qu’il est en place. Mais jusqu’à présent, cette situation n’avait gêné, semble-t-il, personne.
Il a fallu attendre le mois d’août dernier, quand Raphaël Mututa, le président de la Fondation, fit, au lendemain de la désignation du dauphin de Joseph Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary, la déclaration suivante : « il est hors de question d’associer la Fondation aux questions politiques, surtout au soutien de la candidature de Shadary à la présidence de la République. »
C’est à partir de là que pour Raphaël Mututa les choses se sont compliquées. La première réaction fut celle de Joseph Kitenge Lulu, président du Buluba-i-Bukata. Télécommandé depuis Kinshasa par le ministre Félix Kabange Mukwampa, qui finance actuellement les travaux de construction du siège de l’association des Balubakat et des Balubaïsés (peuples dérivés ou descendants du Muluba du Katanga), Joseph Kitenge Lulu adresse une lettre à Raphaël Mututa (sous le numéro 0035CG/BIB/ SHI/2018 en date du 29-08-2018). Il lui demande d’organiser sans délai des élections afin de changer la direction de la Fondation.
La deuxième réaction est celle de certaines associations membres de la Fondation, sous influence du pouvoir, qui écrivent par courrier quelques jours plus tard : « en réaction à la lettre n 0035CG/BIB/SHI/2018 du 29 août qui vous a été adressée par notre association sœur Buluba-i-Bukata dont les copies nous ont été réservées ; en vertu de l’article 19 de nos statuts qui stipule que le mandat du comité exécutif de la Fondation Katangaise est de deux ans, nous nous faisons le devoir de vous rappeler qu’il s’avère nécessaire de convoquer incessamment une assemblée élective » (courrier dont une copie a été curieusement adressée aux quatre gouverneurs des nouvelles provinces issues du démembrement de l’ex Katanga). Autre élément troublant, parmi les signataires figurent les associations Asbakul, Bunvuano et Muyaya. Or, celles-ci soutiennent n’avoir jamais signé un tel document…
Raphaël Mututa et le secrétaire général de la Fondation, Pascal Ntalasha, réagiront quelques jours plus tard, le 11 octobre, par le biais d’un communiqué officiel. « Nous tenons à fixer l’opinion publique que quiconque n’a le droit de poser des actes engageant la Fondation Katangaise, à quel que niveau que ce soit, sans en avoir ni qualité ni mandat officiel préalable. Ainsi donc, toute initiative prise dans ce sens est à considérer comme de nature à discréditer La Fondation et contraire aux objectifs poursuivis par cette dernière. »
Peine perdue. Joseph Lulu, en bon exécutant de la stratégie de destitution du président de la Fondation katangaise, décidée en haut lieu, va convaincre la majorité des responsables des associations membres d’organiser une assemblée élective. Le gouverneur Pande du Haut-Katanga et Lubaba, le maire de la ville de Lubumbashi, ont été pour l’occasion conviés. Ils se sont toutefois faits attendre jusqu’à 15h00, heure où leurs délégués respectifs se sont présentés. Mututa n’était pas informé, ni a fortiori invité à ce «simulacre d’élection » à l’issue de laquelle Joseph Kitenge s’est autoproclamé président et a été acclamé par l’assistance.
Indigné de la façon dont les choses se sont passées, un participant confie : « il est évident que la main des politiciens est derrière tout cela. On est revenu sur les griefs contre Mututa en rappelant le fait que Joseph Kabila, étant fils du Katanga et ayant désigné son dauphin, la Fondation, en tant qu’organisation faîtière, devait soutenir ce choix. Agir autrement , aurait été renier notre propre fils. Raphaël Mututa a donc péché en s’opposant à la volonté de Joseph Kabila », explique ce participant.
C’est bien la preuve que tout était cousu de fil blanc et joué d’avance. Raison pour laquelle « certains des président d’associations membres de la Fondation ont refusé de participer à cette réunion. D’autant que la procédure n’a nullement été respecté. Celle-ci exige que le président sortant présente son bilan et assure la passation de pouvoir avec le nouvel entrant » , précise une source. Toutes choses qui n’ont pas été respectée en l’espèce.
Mais pour Joseph Lulu, le « Brutus » de la Fondation katangaise, qui a célébrée son opération au restaurant du cercle hélénique, la joie aura été de courte durée car dans la communauté des Balubakat, la contestation n’a pas tardé à se faire entendre. Les jeunes en particulier lui ont adressé une lettre dans laquelle ils expriment leur vive désapprobation par rapport à ce qui s’est passé.
Depuis Lulu est sur la sellette. Les dossiers gênants ressortent un à un depuis quelques jours. On lui rappelle ainsi qu’alors chancelier des ordres nationaux, il avait vendu des médailles de mérite civique aux plus offrants. Qu’alors qu’il s’était fait élire à la présidence du Buluba-Ibukata, six mois avant la fin de son mandat, il avait claqué la porte pour aller mener campagne en faveur de Shadary à la Fondation Katangaise.
Du coup, les jeunes Balubakat demandent sa suspension et exigent que soit réorganisée l’élection à la Fondation Katangaise, dont l’actuel mandat doit revenir cette fois-ci, suivant le principe d’une présidence tournante, à un ressortissant du Haut-Lomami et non du Tanganyika, province dont Lulu est originaire. Pire, ces jeunes ont désormais interdit d’accès au siège des Balubakat Joseph Lulu.
En outre, il y a quelques jours, par voie de communiqué, la communauté buluba-i-bukata, a fait savoir qu’elle avait « proposé au comité des sages la suspension préventive de deux de ses fils, dont Mr. Kitenge Lulu, ainsi que Dieudonné Kyungu Mundemba, respectivement président du comité national et président national de la jeunesse, pour avoir engagé sans mandat la communauté dans une parodie électorale à la tête de la fondation katangaise. »
Raphaël Mututa, quant à lui, ne s’avoue pas vaincu. A travers un communiqué lu dans les médias de Lubumbashi, il a vigoureusement contesté la validité de cette élection et promis de se batte afin d’être rétabli dans ses droits. Le bras de fer ne fait que commencer.