« Je suis pour que Moïse Katumbi rentre en RDC et se présente à l’élection présidentielle. L’exclure, c’est avoir peur », a déclaré le président du Sénat et deuxième personnage de l’Etat en RDC dans une interview à RFI. Des propos qui pavent la voie d’un nouveau dialogue et d’une probable future transition.
Sa parole est rare. Elle n’en a que plus de valeur. Ce matin, dans une interview sur la radio RFI, le président du Sénat et deuxième personnage de l’Etat en RDC, Léon Kengo wa Dondo, a préparé le terrain en vue d’un nouveau dialogue et, probablement, d’une nouvelle transition en RDC.
Tout d’abord, ce dernier a rappelé la nécessité d’élections véritablement inclusives, comme le prescrit l’accord de la Saint-Sylvestre. « On doit faire en sorte que tous ceux qui veulent se présenter puissent se présenter », commence-t-il par rappeler avant d’ajouter :
« Je suis pour que Moïse Katumbi rentre [en RDC] et se présente [à l’élection présidentielle] », car, dit-il, « l’exclure, c’est avoir peur » de sa candidature. « Il vaut mieux qu’il se présente. S’il n’est pas élu, il abaissera ses prétentions. S’il est élu, ce sera très bien car il est un fils du pays », a déclaré le président du Sénat.
Idem au sujet de Jean-Pierre Bemba pour lequel Kengo Wa Dondo avait appelé à voter lors de la présidentielle de 2006. « Il est condamné pour subornation de témoin. Or, en regard des faits principaux pour lesquels il a été poursuivi et qui sont considérés comme non-établis, la subornation de témoin est une infraction auxiliaire », fait-il observer. Conséquence imparable selon lui, le leader du MLC ne doit pas voir sa candidature invalidée, comme l’ont suggéré récemment certains caciques du PPRD, le parti au pouvoir.
Pourquoi Léon Kengo wa Dondo tient-il, à ce moment-là, un tel propos ? Certains y voient une forme d’opportunisme politique, « qualité » largement reconnu à cet homme de 83 ans qui a traversé, avec l’aisance d’une anguille dans l’eau, tous les régimes (Mobutu, Kabila père et fils).
Mais en réalité, l’homme est plus fin et plus stratège que cela. Et il a toujours tenté de se placer au point d’équilibre de la vie politique RD congolaise – la clé pour durer -, au prix parfois de certaines contorsions. A preuve, lui qui est signataire de la charte du Front commun pour le Congo (FCC), la plateforme électorale de la majorité, ne votera pas forcément pour le candidat qui a été désigné, Emmanuel Ramazani Shadary, mais possiblement pour l’opposition qu’il appelle d’ailleurs dans son interview à RFI à s’unir en vue d’une candidature commune dont il se dit certain qu’elle l’emportera ! « Si tout le monde [au sein de l’opposition] se met ensemble, je suis sûr qu’il y aura cette fois-ci une alternance », indique-t-il de façon limpide.
Des propos et un timing qui sont tout sauf anodins
En rappelant aujourd’hui la nécessité d’élections « inclusives » – l’une des grandes revendications de l’opposition – et véritablement « transparentes » (quitte à se passer de la « machine à voter » pour laquelle il se dit favorable à un audit – « si tout le monde dit qu’elle risque de désorienter les électeurs, il faut suivre [car] trop de critiques tuent l’élection », fait-il observer), en disant également que celles-ci doivent être financées (alors qu’il s’est très bien qu’elles ne le sont pas et ne le seront d’ici la fin de l’année), en avertissant qu’il ne faudrait pas dépasser la date fixée par la CENI pour la tenue du scrutin (le 23 décembre prochain) et en pointant subtilement du doigt le fait que la candidature d’Emmanuel Ramazani Shadary ne fait pas consensus au sein de la majorité présidentielle, Léon Kengo wa Dondo, en politicien madré, appelle en réalité à un nouveau dialogue qui déboucherait sur une nouvelle transition.
Dans son interview, ce dernier décrit une situation d’impasse, tant pour l’opposition (qui veut des élections inclusives et transparentes) que pour la majorité (qui aurait tout à craindre d’une élection à laquelle elle présente un candidat non-consensuel et dont les résultats risqueraient fort de ne pas être reconnus par l’opinion publique comme par la communauté internationale). Conclusion de cette démonstration implacable : seul un nouveau dialogue permettrait de sortir de cette situation inextricable.
D’ailleurs, quand Léon Kengo wa Dondo, ex-magistrat, ancien Procureur général de la République et grand connaisseur du droit, appelle Moïse Katumbi à solliciter une grâce présidentielle auprès de Joseph Kabila alors même que l’opposant n’a pas été définitivement condamné et qu’il n’y a donc pas en l’espèce d’autorité de la chose jugée (l’affaire Stoupis est en appel, celle des mercenaires a été renvoyée hypothétiquement en octobre et l’affaire de la double-nationalité n’a rien donné), ça n’est qu’un appel du pied pour inviter celui-ci à un dialogue avec le pouvoir. D’autant que Kengo le reconnaît lui-même dans son interview, « ce que l’on poursuit [dans le cas de Moïse Katumbi], ce sont des faits politiques », faisant ainsi craqueler le vernis juridique que tente de plaquer Kinshasa sur les nombreuses poursuites intentées contre l’ex-gouverneur du Katanga.
Or un nouveau dialogue susceptible de déboucher sur une nouvelle transition, c’est précisément ce que souhaite Joseph Kabila. En faisant mine de choisir comme dauphin le 8 août dernier le très controversé et non-consensuel Ramazani Shadary, le président (hors mandat) a montré qu’il ne souhaitait pas des élections mais d’une nouvelle transition – de deux ans, selon plusieurs membres de son entourage (lire à ce sujet notre article paru le 8 août dernier).
Car quitte à partir, autant le faire le plus tard possible et dans les conditions les moins mauvaises. Autrement dit, en négociant mieux sa sortie qu’il ne l’a fait jusqu’à présent (sur le plan de l’immunité notamment) et, surtout, en essayant de garder la main et non de se la faire forcer. Joseph Kabila le sait, un dialogue congolo-congolais et la seule manière d’éviter une solution « imposée » de l’extérieur, par exemple, par la SADC.
Ce n’est d’ailleurs peut être pas tout à fait un hasard si la sortie médiatique de Léon Kengo wa Dondo intervient un jour seulement après l’annonce de la désignation – contestée par Joseph Kabila et son entourage – de Thabo Mbeki comme médiateur de l’organisation sous-régionale sud-africaine dans la crise politique en RDC…