Malgré toutes les précautions prises (comme le fait de tenir ses meetings de nuit pour masquer la faible assistance), la campagne de Félix Tshisekedi pour l’élection présidentielle prévue le 20 décembre prochain en République Démocratique du Congo prend chaque jour un peu plus des allures de chemin de croix. A l’Est comme à l’Ouest, partout où il passe, le président sortant est conspué et invectivé par une population dont les conditions de vie se sont dégradées depuis cinq ans. Fatigué physiquement comme nerveusement, il s’est résolu ce dimanche à interrompre sa campagne durant trois jours, peut-être plus. Au risque de se laisser irrémédiablement distancer par son principal adversaire, Moïse Katumbi, qui fait une impressionnante démonstration de popularité.
« C’est catastrophique ! Il n’y a pas d’autre mot », lâche, dépité, un député USN du Sud-Kivu, qui ne cache plus sa colère, y compris en public.
Pour Félix Tshisekedi, qui n’est pas au mieux de sa forme (il vient d’interrompre pour trois jours au moins sa campagne, en réalité pour raison de santé), ces dix premiers jours de campagne (il en reste encore vingt) se sont transformés en un véritable calvaire. Alors qu’il est président, qu’il mobilise les moyens de l’Etat, réquisitionne les fonctionnaires et les médias, dépense à tour de bras (de l’argent public), ses meetings n’attirent pas les foules. Pire, chacun d’entre eux, à l’Est comme à l’Ouest, est l’occasion pour une population, exaspérée par cinq années de mandat où elle a vu ses conditions de vie se dégrader, de manifester son mécontentement, lui rappeler ses « belles promesses » et lui signifier le rejet de son régime (lire également à ce sujet notre article).
Au point que son équipe de campagne s’est résolu à tenir ses meetings la nuit pour masquer la faible audience et tenter de « faire le ménage » au sein du public. Peine perdue. Comme à Matadi, Kindu, etc., la semaine précédente, ce jeudi à Kisangani, l’une des plus grandes villes de RDC, stratégique sur le plan électoral, Félix Tshisekedi a été lourdement conspué. « Sortez, partez », a crié une bonne partie de la foule tout au long de son meeting (filmé en plan serré par son équipe), le traitant également de « voleur ».
Les alliés de Tshisekedi, eux aussi cibles de la colère
Le président n’est pas le seul à subir la vindicte populaire. Ses alliés aussi. En meeting fin novembre à Kisangani, Vital Karmerhe, vice-premier ministre chargé de l’Économie, a été copieusement hué par la population. « Moyibi, moyibi », lui a-t-elle lancé (« voleur, voleur »). Une scène qui s’est répétée à chacune des sorties, ou presque, de celui qui est l’un des principaux alliés de M. Tshisekedi et qui a été condamné en 2020 à 20 ans de prison pour détournement (avec ses co-accusés) de 50 millions de dollars dans le cadre de l’affaire « des cent jours », avant d’être acquitté deux ans plus tard par une justice inféodée au pouvoir. En meeting hier, samedi 2 décembre, à Bukavu, son bastion électoral, Vital Kamerhe, n’a, le moins que l’on puisse dire, pas fait le plein. Même Denis Mukwege, lui aussi originaire de Bukavu, et, dans une moindre mesure, Martin Fayulu ont fait mieux (respectivement le 25 novembre et le 1er décembre). Quant à Moïse Katumbi, il a surclassé de très loin tous ses concurrents, remplissant littéralement la Place de l’Indépendance lundi 27 novembre.
Le courroux de la population ne se limite pas aux personnalités de la majorité d’envergure nationale. Loin s’en faut. Au Lualaba, quand le ministre provincial des Finances, Achille Muteteke, en meeting cette semaine à Sandoa, a demandé au public de voter pour le numéro 20 (Félix Tshisekedi), celui-ci lui a répondu en choeur que son choix se porterait sur le « numéro 3 » (Moïse Katumbi).
Refus des candidats USN d’arborer la photo du président sur leurs affiches
Mais il y a plus révélateur encore. Sur le terrain, les candidats aux élections législatives nationales comme provinciales de la majorité présidentielle, regroupés au sein de l’Union sacrée pour la nation (USN), se gardent bien, pour beaucoup, d’afficher la photo de Félix Tshisekedi ou de faire la moindre référence à sa personne. Un phénomène suffisamment répandu (ce serait le cas de 70 % des candidats, selon des sources internes) pour justifier la mise en garde, ce vendredi 1er décembre, du secrétaire permanent de l’USN, André Mbata Betukumesu, un proche de Vital Kamerhe converti en tshisekediste zélé (voir ce tweet).
Pas sûr toutefois que ces remontrances fassent leur effet, comme en témoigne ce député USN du Kongo Central. « Nous sommes au contact de la population. Nous sommes les premiers à ressentir cette impopularité (du président Tshisekedi). A nous, on ne peut pas mentir. La propagande faite depuis Kinshasa dans les médias ou sur les réseaux sociaux, nous, sur le terrain, on s’en fiche. Ce que l’on veut avec mes collègues, c’est éviter une débâcle », se défend l’élu qui dit « assumer totalement » l’absence de toute référence au président dans son matériel de campagne. « Pour beaucoup de candidats, Félix Tshisekedi fait figure d’épouvantail », explique le responsable d’un mouvement citoyen, très actif dans l’est du pays, indiquant que « certains d’entre eux vont même jusqu’à se prévaloir du soutien d’autres candidats sur leurs affiches alors même qu’ils sont de la majorité présidentielle ! »
« Faire admettre des résultats autres que ceux sortis des urnes va être très difficile »
Le mauvais début de campagne du président est à l’origine de fortes tensions entre son équipe de campagne et le reste de l’USN. Les seconds accusent les premiers de se voiler la face et les « mener droit dans le mur ». Ils en veulent pour preuve les déclarations ce vendredi 1er décembre du co-directeur de campagne de Félix Tshisekedi, Jacquemain Shabani, qui s’est dit « satisfait » de ce début de campagne. « Surréaliste. C’est un exercice d’auto-satisfaction. Ces gens-là sont des courtisans. Ils mentent au président. Ils ne lui disent pas la vérité », vitupère un sénateur de la majorité.
Après dix jours de campagne, entre les deux camps, le divorce semble irrémédiablement consommé. Dans un communiqué publié ce vendredi 1er décembre, les « communicateurs » de l’USN ont menacé de se retirer si l’équipe de campagne de Félix Tshisekedi, co-dirigée par Jacquemain Shabani et Accacia Bandubola, qu’ils accusent de les ignorer, ne faisait pas droit à leurs prétentions financières (voir ce tweet). Le même jour, André Mbata, cité plus haut, a enfoncé le clou, déclarant que c’est toute l’équipe de campagne de Félix Tshisekedi qui devait être écartée au profit d’une autre, plus compétente. Sans attendre d’avoir gain de cause, celui-ci a mis en place une organisation parallèle (voir ce même tweet). Une sorte de double commande à vingt jours à peine du scrutin…
« Personne ne pense sérieusement que Tshisekedi peut l’emporter face à Katumbi »
En attendant, les images d’un président très impopulaire inondant depuis quelques jours les réseaux sociaux (non censurables comme beaucoup de médias en RDC) sont venues briser le miroir aux alouettes patiemment édifié à grand renfort de communication. Surtout, elles perturbent les plans de l’équipe Tshisekedi. « L’objectif du président sortant durant cette campagne était moins de convaincre les Congolais de voter pour lui que de donner le sentiment, l’illusion, avec de belles images, tant dans le pays qu’à l’extérieur, qu’il est a minima apprécié par la population, ce qui lui aurait permis de crédibiliser l’annonce de résultats différents de ceux réellement constatés dans les urnes », explique un universitaire en Belgique, spécialiste de la RDC. Mais c’est manifestement raté. « Depuis le début de la campagne, M. Tshisekedi est rattrapé par la réalité », poursuit l’universitaire. « Le village Potemkine en carton-pâte, que ses équipes de campagne ont construit, s’est rapidement effondé. Dans ces conditions, faire admettre des résultats autres que ceux sortis des urnes va être très difficile pour M. Tshisekedi ».
Si, au vu de ce premier tiers de campagne, une victoire à la régulière de M. Tshisekedi paraît hautement improbable, c’est aussi parce que, dans le même temps, son principal adversaire, Moïse Katumbi, qu’il a tout fait – en vain – pour écarter de la course à la présidentielle, fait un début de campagne tonitruant, attirant des foules considérables à chacun de ses meetings. Au point d’être considéré comme le grand favori désormais de cette présidentielle. « A la régulière, personne ne pense sérieusement que Félix Tshisekedi peut l’emporter face à Moïse Katumbi », assène un ambassadeur qui a quitté Kinshasa il y a quelques mois seulement. Une vue largement partagée dans les milieux diplomatiques.
Vers une tentative de passage en force de Félix Tshisekedi
Reste cependant pour M. Tshisekedi une dernière carte. L’option à laquelle il se raccroche depuis le début. Celle d’un passage en force. « Tshisekedi n’est pas Georges Weah. Il va perdre ces élections mais il ne reconnaîtra pas sa défaite. Il ne partira pas tranquillement. Il va faire annoncer par la CENI des résultats frauduleux. Nous le savons. Il va tenter de s’accrocher », prédit un responsable d’Envol, le parti de l’opposant Delly Sesanga. Mais l’hypothèse d’un passage en force, déjà hasardeuse au départ, est aujourd’hui devenue franchement périlleuse comme l’explique un spécialiste de la RDC, proche de l’administration Biden, travaillant dans un think tank à Washington. « M. Tshisekedi est isolé. Bien plus que ne l’était Joseph Kabila en 2018. Depuis cinq ans, il a dirigé le pays avec une base étriquée, s’appuyant presqu’exclusivement sur des personnalités du Kasaï, sa province d’origine. Il s’est fait beaucoup d’ennemis à l’intérieur. Et à l’extérieur, il s’est brouillé avec la quasi-totalité des dirigeants de la sous-région qui estiment qu’il n’est pas l’homme de la situation » (…), explique cet expert.
Quant à la communauté internationale, après son pari raté de 2019, on ne devrait pas l’y prendre une deuxième fois. « Il n’est pas question cette fois-ci d’avaliser des résultats autres que ceux réellement sortis des urnes », prévient une source onusienne. Il y a cinq ans en effet, ce n’est pas grâce aux voix des Congolais mais à son prédécesseur, Joseph Kabila, au terme de ce que le ministre français des Affaires étrangères de l’époque avait qualifié de « compromis à l’africaine », que Félix Tshisekedi s’était installé à la Présidence.
L’Histoire, il est vrai, se répète rarement deux fois. A moins de trois semaines des élections du 20 décembre, les jours de Félix Tshisekedi à la tête de la RDC semblent comptés.