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Philippe de Moerloose, le très « cher » ami de la RDC

Philippe de Moerloose (à droite) a perdu son principal sponsor en affaires en RDC, Joseph Kabila, qui a été contraint de quitter le pouvoir © DR

Trois ans avant la publication de « Congo Hold Up » qui a mis en lumière l’ampleur de la corruption et des détournements de fonds publics sous la présidence de Joseph Kabila, Le Congo Libéré publiait un article, avec force détails, consacré aux « juteuses affaires » de l’un des principaux protagonistes de cette vaste enquête, l’homme d’affaire belge Philippe de Moerloose. Cet article, paru le 30 octobre 2018, n’a pas pris une ride. Nous le publions derechef aujourd’hui, enrichi d’un épilogue.

 

RDC : Philippe de Moerloose, l’homme des juteuses affaires de Joseph Kabila

(Article publié le 30 octobre 2018 – Lien vers l’article : cliquez ici)

« Il est au centre de beaucoup d’affaires. Il remporte les marchés non sur appel d’offres mais de gré à gré. La marchandise est surfacturée et il se partage la marge avec la famille Kabila. Au final, c’est le contribuable RD congolais qui paye », explique l’un de ses ex-partenaires d’affaires avec lequel il est désormais en conflit.

Depuis plusieurs années, les affaires de Philippe de Moerloose prospèrent. C’est lui notamment qui a remporté le vaste marché de fourniture de tracteurs aux provinces lorsqu’il s’est agi, en 2009-2010, de développer l’agriculture dans le cadre de la « révolution verte ». Des tracteurs d’occasion de marque John Deere facturés à un prix prohibitif, qui sont arrivés en RDC en pièces détachés et dont la plupart n’ont jamais fonctionné. Au Kasaï, ces tracteurs, bien que payés, n’ont jamais été livrés. Ailleurs, seuls quelques dizaines ont été réceptionnés sur les 500 camions commandés pour chacune des onze provinces à l’époque.

C’est encore lui, Philippe de Moerloose, qui a fourni les différentes provinces de la RDC en engins de forage d’eau, eux aussi arrivés en pièces détachées et eux aussi inutilisables dans leur grande majorité. Mais pas question pour les gouverneurs de se plaindre car « Philippe » est « l’ami du président ». « On nous demandait de payer et de la fermer », nous dit l’un d’entre eux qui explique que « les montants pour les achats étaient prélevés directement sur le budget provincial au niveau de la ligne budgétaire ‘frais d’investissement’ ». Un système bien rôdé qui a concerné tous types de véhicules durant de longues années.

Selon les confidences recueillies auprès de fonctionnaires du Trésor de l’époque, fut-un temps, les paiements effectués au profit de la société de Philippe de Moerloose s’élevaient à quelque 20 millions de dollars par mois. Des mensualités qui ont, par la suite, dues être diminuées afin de ne pas peser trop lourdement sur le budget de l’Etat.

Grosse fortune

Philippe de Moerloose est aujourd’hui à la tête d’une véritable fortune au Congo. « Ça n’est pas tout à fait comparable à la famille Forest qui a, elle, bâti un véritable empire dans le pays qui s’étend dans tous les secteurs de l’économie », explique un homme d’affaires à Kinshasa. « Mais Philippe fait partie de l’intelligentsia économique du pays. Et depuis quelques années, on sent qu’il a le vent en poupe », s’empresse-t-il d’ajouter.

En RDC, Philippe de Moerloose est également connu pour être l’actionnaire de la filiale locale de Tractafrique (en réalité, la part de l’actionnariat qui n’est pas détenue par la maison mère de Tractafrique au Maroc est partagée à 50-50 en RDC entre l’homme d’affaires belge et la famille Kabila). Les affaires de cette société sont florissantes. Lorsqu’il s’est agi de renouveler le parc des bus Transco, ça été le jackpot pour Philippe de Moerloose. Deux lots de 500 bus chacun ont été commandé à un prix très élevé. Sur chaque bus la commission perçue par la société s’élevait à 27 000 dollars par unité vendue. Soit un montant total à se partager de l’ordre de 27 millions de dollars. Faramineux.

En RDC, Tractafrique distribue la marque Mercedes (les véhicules particuliers mais surtout les camions, réputés pour leur robustesse). Mais désormais, Philippe de Moerloose est également le partenaire de Volvo dans le pays, une autre grande marque réputée pour ses camions. Conséquence, il est aujourd’hui le fournisseur de la quasi-totalité des grandes sociétés minières du pays. Les marges bénéficiaires, très généreuses, sont à chaque fois réparties entre lui et la famille Kabila (Joseph, Olive, Jaynet…).

Mais il n’y a pas que sur terre que Philippe de Moerloose a étendu son emprise. Les 20 aéronefs mis à la disposition de la CENI ce lundi 29 octobre, c’est encore lui qui les a livrés. Des avions de la compagnie Hewa Bora Airways qu’il a revendu, là aussi, à un prix exorbitant afin d’augmenter la marge bénéficiaire à se répartir avec ses « partenaires d’affaires ». Une opération menée de concert avec Charles Descriver, le conseiller « aviation » de Joseph Kabila.

Dernièrement, l’homme d’affaires belge, manifestement insatiable, a joué les intermédiaires lors de la signature, annoncée en grande pompe, le 16 octobre dernier, d’un « accord de développement exclusif » entre l’Etat congolais et deux entreprises, l’une chinoise, l’autre espagnole, pour tenter de financer le méga-projet de barrage Inga III sur le fleuve Congo d’une capacité de 11 000 mégawatts dont le coût s’élève à 14 milliards de dollars. A cette occasion, l’hommes d’affaires a utilisé une autre de ses sociétés, espagnole elle aussi. Une société qui accueille actuellement en stage Sifa, la fille ainée de Joseph Kabila, qui s’est rabattue sur cette solution après s’être vue refuser un visa pour se rendre aux Etats-Unis.

Désormais dans le viseur des autorités internationales

En RDC, le soleil ne se couchera bientôt plus sur l’empire de Philippe de Moerloose, qui est également le co-propriétaire de certains des plus grands hôtels du pays (le Grand Hôtel de Kinshasa Pullman, le Grand Hôtel de Lubumbashi Pullman, etc.). Un empire constitué grâce à l’appui de Joseph Kabila qui en profite très largement en retour.

Reste que cet empire ne repose sur du sable. Sa pérennité est étroitement liée au destin politique, plus qu’incertain, de son protecteur. Sans compter qu’une telle ascension ne se fait pas sans risques. Le nom de Philippe de Moerloose figure dans la liste des personnalités au sein du régime RD congolais susceptibles d’être prochainement sanctionnées par les Etats-Unis et l’Union européenne. En outre, la justice belge s’intéresse désormais de près à ses affaires. Au Congo comme ailleurs, les arbres ne grimpent pas jusqu’au ciel.* * *

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Epilogue

Trois ans ont passé depuis la publication de cet article. Philippe de Moerloose est toujours actif en RDC. Mais moins qu’avant. Ses affaires ne sont plus aussi florissantes. Il faut dire que son principal sponsor, Joseph Kabila, a dû quitter le pouvoir. En deux temps. Une première fois en janvier 2019 où il a cédé l’écharpe de chef de l’Etat à Félix Tshisekedi. Une deuxième fois en décembre 2020 lorsque ce dernier a décidé, brutalement, de mettre un terme à leur alliance et, par la même, au deal en vertu duquel les deux hommes s’étaient répartis le pouvoir. Aujourd’hui, Philippe de Moerloose n’a plus les mêmes entrées à la Présidence qu’à l’époque du « temps béni » de Joseph Kabila.

Mais il y a pire. Menacé d’enquêtes, voire de sanctions de la part de l’Union européenne comme des Etats-Unis, le businessman belge a entrepris de mettre de l’ordre dans la vaste galaxie de ses sociétés. Et rapatrier en Belgique une (petite ?) partie du « trésor de guerre » largement amassé en RDC et dont une bonne part demeurerait, pour l’heure, dans les paradis fiscaux. C’est le cas depuis mars 2020 de 57 millions d’euros logés dans les comptes d’African Equities, une société qui s’occupe des parts de Philippe de Moerloose dans l’hôtel Pullman Kinshasa et dont le siège social est revenu à Wavre, dans le fief familial du Brabant wallon. Là précisément où se trouve la luxueuse villa de Grez-Doiceau vendu (à titre de compensation ?) il y a quelques années à la femme de Joseph Kabila, Olive Lembe. « Ces 57 millions sont une goutte d’eau », croit savoir un entrepreneur belge, spécialisé dans l’extraction du diamant au Kasaï. « Depuis 2009, près de 750 millions de dollars sont passés des caisses de l’Etat aux comptes de ses entreprises », rappellent les auteurs de l’enquête Congo Hold Up. Et encore, ce montant ne correspond-t-il qu’à ce qui a pu être retracé sur la base d’écritures officielles. Il pourrait donc ne s’agir que d’un minimum.

De Moerloose cherche-t-il à se mettre en règle pour éviter d’éventuelles poursuites judiciaires ou sanctions ? Ou bien simplement à renvoyer une meilleure image de lui-même ? Manifestement, il n’y a pas qu’en Belgique où l’homme d’affaires a concouru en 2021 au titre de l’entrepreneur de l’année qu’il tient à préserver cette image, désormais passablement écornée. Ces dernières semaines, plusieurs médias en RDC ont été approchés en son nom en vue d’une « opération de réhabilitation ». Pas sûr toutefois que cela ne suffise ni à recouvrer sa respectabilité ni à relancer ses affaires. « Au Congo comme ailleurs, les arbres ne grimpent pas jusqu’au ciel. »