Début octobre, Le Congo Libéré révélait que Francis Selemani, le « frère » de Joseph Kabila, s’était fait indûment octroyer une indemnité de 3 millions de dollars suite au non renouvellement de son mandat de directeur général de BGFI RDC en mai dernier. Pour Jean-Jacques Lumumba, ancien cadre de la banque à l’origine de la révélation de plusieurs scandales, c’est tout sauf une surprise tant le clan Kabila, via Francis Selemani, a cannibalisé la filiale RD congolaise du groupe bancaire d’origine gabonaise.
Interview réalisée depuis Bruxelles par Adrien Seyes
1) Ce mois-ci, Le Congo Libéré a révélé que Francis Selemani s’était fait indûment octroyer une indemnité de 3 millions de dollars suite au non renouvellement de son mandat de directeur général de BGFI RDC. Cela vous a-t-il surpris ?
Connaissant l’homme, sa cupidité et son sens de la mégestion, cela ne m’a absolument pas surpris. Je suppose qu’il a dû en être de même pour tous ceux qui l’ont côtoyé à un moment donné.
2) Lumumba Papers, financement du Hezbollah, primes indues… qu’est ce qui explique selon vous la multiplication de telles affaires chez BGFI RDC ?
Avant tout le fait que la banque est dirigée par quelqu’un, Francis Selemani, qui fait partie d’un clan prédateur, vorace, qui a été laissé libre de faire ce qu’il voulait et qui se croit tout permis. Il a abusé de son influence « politique » (NDLR : il est l’ami d’enfance de Joseph Kabila) pour piétiner toutes les réglementations bancaires, congolaises ou internationales. Il se croit, c’est évident, au-dessus des lois.
3) Un bon connaisseur du secteur bancaire en Afrique centrale nous a dit que la RDC, c’était 6 % du total de bilan de la BGFI et 99 % de ses problèmes. Vous partagez cet avis ?
Je ne discuterais pas les pourcentages. Mais il est certain que la RDC est la source de très nombreux problèmes pour BGFI. Il n’y a qu’à voir la succession de scandales qui ont été révélés ces deux dernières années et qui s’expliquent par la gestion très « politique » de la banque. Une gestion qui l’a plombée sur un plan financier et qui a considérablement contribué à ternir son image. Indubitablement, la RDC a nui à une hauteur très importante à la réputation de BGFI.
4) Francis Selemani revendique ses liens avec Joseph Kabila. Est-ce cela qui l’a rendu intouchable jusqu’à présent ?
Encore aujourd’hui, Francis Selemani est resté intouchable malgré l’exfiltration de façade qui a été faite (NDLR : son mandat de directeur général de BGFI RDC n’a pas été renouvelé en mai dernier). Parce que derrière la gestion de Francis Selemani se cache un nom : celui de Joseph Kabila. Selemani, via des pratiques répréhensibles, tels que des détournements ou du blanchiment de capitaux, a facilité la réalisation d’opérations douteuses au profit du président RD congolais et de sa famille. Francis Selemani, qui se revendique comme le « frère » de Joseph Kabila, est d’ailleurs l’un des rouages mis en place en RDC pour faciliter la corruption au profit d’un clan. Il est l’un des pièces de ce vaste système kleptocratique.
5) Le management gabonais de la banque a, semble-t-il, compris que son intérêt était de se séparer de Francis Selemani. Y parviendra-t-il selon vous ?
Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Mon souhait est que le groupe BGFI parvienne à se séparer de Francis Selemani et, au-delà, du clan Kabila. Car au final, on l’oublie souvent, mais ce sont des milliers d’emplois qui sont en jeu, au sein de la banque et dans les entreprises que BGFI RDC est supposée financer. Ma conviction est que, si la direction de la banque fait preuve de volonté, elle parviendra à couper cette branche pourrie, ce qui serait salutaire pour le groupe.
6) Malgré cette exfiltration en mai dernier dont vous avez parlée, Francis Selemani continuerait à piloter en sous-main, via ses proches, BGFI RDC. Comment cela est-il possible ?
Tout simplement parce que la personne qui gère aujourd’hui la banque, Benito Furume Ntale, le directeur adjoint, est l’un de ses très proches. Francis Selemani, dont le pouvoir repose sur la proximité avec Joseph Kabila, continue à travers lui à tirer les ficelles depuis l’extérieur. C’est d’ailleurs son intérêt et celui de son clan car il a encore beaucoup de choses à cacher. Ce qui a été révélé n’est que la face émergée de l’iceberg. Il y a encore beaucoup de scandales qui n’ont pas encore été mis à jour. Voilà pourquoi Selemani a besoin de continuer à contrôler ce qui se passe au sein de la banque en RDC.
7) Quelle place occupe aujourd’hui BGFI sur le marché bancaire RD congolais par rapport à ses concurrents ?
Il y a trois, quatre ans, BGFI était une banque très prometteuse, pleine de perspectives sur le marché congolais. Mais depuis, avec la succession des scandales, c’est une banque qui a beaucoup perdu de sa superbe et dont la réputation a été largement ternie. Hélas, avec toutes ces affaires qui ont impactées son fonctionnement, on ne peut plus dire aujourd’hui que BGFI est un groupe important. C’est une banque de taille moyenne, l’une des plus mauvaises en termes de respect des normes réglementaires et des ratio prudentiels. En RDC, le marché bancaire reste dominé par la Rawbank, la Banque Commerciale du Congo (BCDC) ou encore la Trust Merchant Bank.
8) L’après Kabila pour BGFI en RDC, risque ou opportunité ?
C’est une opportunité si le groupe repense son business model, même si la loi congolaise impose aux filiales des banques une large autonomie, ce qui n’est pas toujours souhaitable. En revanche, s’il continue sur la même voie, en étant très poreux aux influences politiques, même sans Francis Selemani et la pression du clan Kabila, ses perspectives de développement resteront très limitées. Mais je reste confiant. En termes de potentiel et d’organisation, le groupe BGFI a de quoi rivaliser avec les plus grands groupes bancaires africains, d’autant qu’il dispose d’une vraie vision de son développement. Et en RDC, il a clairement la capacité de se hisser parmi les banques leaders. C’est en tout cas ce que je souhaite à BGFI, une fois que la page Selemani-Kabila aura été tournée.