Accueil Politique

RDC : très fortes incertitudes sur la tenue des élections le 23 décembre prochain

Une machine à voter acheminée en pirogue vers un centre de vote en RDC © DR

En dépit de la communication volontairement très rassurante de la CENI et des autorités congolaises, de plus en plus nombreux sont ceux à douter de la tenue des élections en décembre prochain en RDC. 

C’est une anecdote qui dit tout. Alors que la campagne électorale a officiellement été lancée jeudi 22 novembre au Congo-Kinshasa, les affiches officielles de campagne du dauphin de Joseph Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary, viennent à peine, et encore pour une partie d’entre elles seulement, de quitter les entrepôts d’un aéroport en Chine pour être acheminées à Kinshasa via l’aéroport de Ndjili. Au début, il avait été envisagé de les faire venir par bateau. Une idée à laquelle il a été renoncé, les affiches risquant d’arriver à destination après la date du 23 décembre…

Cette anecdote est révélatrice du degré d’impréparation dans lequel se trouve aujourd’hui la RDC alors que des élections générales (présidentielle, législatives et provinciales) doivent se tenir dans un mois jour pour jour. Seules 35 000 machines à voter sur les plus de 105 000 qui sont censées être déployées partout dans le pays sont effectivement arrivées en RDC. Mais les panneaux solaires, qui doivent les alimenter, se trouvent encore en Chine. Une rallonge de 40 millions de dollars a été demandée pour les acheminer. Une somme qui n’a pas encore été payée à ce jour. Autre problème : les batteries, déjà incorporées aux 35 000 machines livrées, non pas été testées.

En outre, la formation des personnels est très loin d’avoir été parfaite. Certes, 201 personnes ont déjà été formées en qualité de formateurs. A leur tour, celles-ci doivent recruter et former quelque 18 000 techniciens, un chiffre qui correspond au nombre de centres de vote répartis sur l’ensemble du territoire. Leur formation vient à peine de débuter. Elle est cruciale car chaque technicien sera chargé de superviser 5 bureaux de vote, distant d’un à cinq kilomètres chacun. Or ce sont ces techniciens qui seront chargés de former les 5 chefs de bureaux de vote se trouvant dans leur giron. 18 000 techniciens devront ainsi formés 90 000 chefs de bureaux de vote.

Enfin, la transmission des données de vote doit se faire par internet. Pour cela, les autorités comptent utiliser la 3G là où il y a une couverture. Mais dans les territoires où celle-ci est inexistante, des thurayas ont été commandés… qui ne sont pas encore arrivés en RDC.

Dans ces conditions (35 000 machines à voter réceptionnées sur les plus de 105 000 attendues, sans moyen de les alimenter, avec des batteries non vérifiées et la formation des personnels loin d’être terminée [108 000 agents restent encore à former à ce jour…), sachant que les élections sont censées se tenir dans un mois, on voit mal comment les délais pourront être tenus.

Une réalité bien éloignée de la peinture idyllique brossée par la CENI et les autorités RD congolaises, qui soutiennent que 70 % des machines ont d’ores et déjà été dispatchées dans le pays. Ce que confirme Bob Kabamba, professeur à l’Université de Liège en Belgique. « Lorsque l’on compare la situation électorale aujourd’hui par rapport à celle de 2006 et de 2011, on constate un retard dans le démarrage de la campagne du côté des états majors des mouvements politiques. Ce retard n’est pas dû à un manque de moyens mais à leur appropriation du processus électoral », fait observer l’universitaire qui poursuit : « aussi bien du côté de la majorité que de l’opposition, les gens n’ont pas confiance dans le processus électoral car ils sentent un énorme décalage entre ce que la CENI dit et ce qui se passe sur le terrain […] Bien que la CENI dit que des machines à voter ont été déployées, personne ne croit plus désormais en la possibilité de tenir des élections un tant soit peu crédibles dans de tels délais », a expliqué l’universitaire sur Radio Okapi.

Question : dans ces conditions, pourquoi laisse-t-on la campagne se dérouler ? Réponse : les autorités RD congolaises ne veulent surtout pas prendre l’initiative d’un report car elles craignent, en pareil cas, une contestation très virulente de la part de la population qui ne croit plus depuis longtemps en la parole officielle. Longtemps, les autorités ont espéré qu’une demande de report viennent des rangs de l’opposition. En vain. Dans un second temps, elle a tenté d’en passer par le CNSA. Las, Joseph Olenghankoy n’a pas souhaité supporté une responsabilité jugée bien trop lourde, comme le montre la communication faite hier.

Du coup, les autorités RD congolaises tablent désormais sur deux scenarii. Le premier consiste à laisser les candidats faire campagne, les faire dépenser leur argent avant qu’ils ne constatent d’eux-mêmes qu’un délai supplémentaire est nécessaire pour la tenue des élections et en fassent la demande à la CENI. Etant au milieu du guet, ne voulant pas que l’argent dépensé l’ait été en pure perte, ces candidats n’auraient d’autre choix dans l’esprit des autorités RD congolaises que d’accepter un léger « report technique » (selon le terme utilisé par la CENI). Ce qui signifierai un report de deux à trois semaines.

Le deuxième scénario consiste, lui, à organiser le scrutin dans les délais mais sur une petite portion du pays (les grandes villes et les territoires les moins mal desservis par les infrastructures routières). Ce scénario d’une « élection light » permettrait d’énoncer les premiers résultats dès le lendemain du vote, soit le 24 décembre, comme l’a indiqué le rapporteur de la CENI, Jean-Pierre Kalamba, il y a quelques jours.

Comme à son habitude, Joseph Kabila garde deux fers au feu. Au risque cette fois-ci de se brûler vraiment. Car dans un cas comme dans l’autre, il est fort à parier que la contestation sera vive dans le pays tant ces élections sont attendues avec impatience par la population qui aspire profondément au changement.