Accueil Politique

RDC : pourquoi la candidature de Jean-Pierre Bemba à l’élection présidentielle ne devrait pas être invalidée

Jean-Pierre Bemba, le président du MLC, quittant Bruxelles le 31 juillet pour retourner en RDC après onze ans d'absence afin d'y déposer sa candidature à l'élection présidentielle @ Twitter – Bembajp

Pour les partisans de Jean Pierre Bemba, c’est un grand jour. Après onze ans d’absence, le « chairman » est de retour en RDC. A 9h25 (heure locale), le jet loué pour l’occasion s’est posé sur le tarmac de l’aéroport de Ndjili. Avant de se recueillir sur la tombe de son défunt père à Gemena dans le nord-ouest du pays, le leader du MLC a prévu de déposer à la CENI sa candidature à l’élection présidentielle. Une candidature qui sera probablement validée, en dépit de certaines déclarations au sein de la MP. Voici pourquoi. 

Alors qu’elles font tout pour entraver le retour de Moïse Katumbi en RDC, les autorités RD congolaises se sont, à l’inverse, mises en quatre pour faciliter celui de Jean-Pierre Bemba. Un passeport biométrique lui a été délivré en un temps record, en même temps que les différentes autorisations de vol.

Qu’est-ce qui justifie une telle différence de traitement, « ce deux poids deux mesures » pour reprendre l’expression du journaliste du Point Prosper Bagondo ? Tout simplement le fait que Joseph Kabila n’a aucun intérêt à voir invalidée la candidature de Jean-Pierre Bemba. Au contraire, une candidature du patron du MLC ne présente pour lui que des avantages.

A son corps défendant, Jean-Pierre Bemba est devenu un des éléments de la stratégie de l’actuel président (hors mandant) RD congolais qui doit lui permettre  de conserver le pouvoir, quand bien même il renonçait à se présenter à l’élection présidentielle (cas de figure le plus probable désormais compte tenu de l’intense pression exercée par la communauté internationale et les pays de la sous-région qui « n’en veulent plus »). L’explication tient en trois points.

Premièrement, pour Joseph Kabila, Jean-Pierre Bemba ne représente plus un danger. Sa base électorale, circonscrite à l’est, s’est rétrécie en son absence (lire l’analyse du Point à ce sujet) et les jeunes électeurs qui ont entre 18 et 25 ans – et voteront pour la première fois cette année – ne connaissent pas le leader du MLC (alors que beaucoup d’entre eux, aux quatre coins du pays, sont des fans du TP Mazembe, club présidé par… Moïse Katumbi). Par ailleurs, le fils de feu Jeannot Bemba, l’ex-patron des patrons congolais, ne dispose plus de la même fortune qu’il y a dix ans et sa milice, d’où il tirait une bonne partie de sa renommée et de son prestige, a été totalement démantelée. Enfin, en 2006, Jean-Pierre Bemba avait pu bénéficier d’un précieux soutien : celui de Yoweri Museveni, le président ougandais, son parrain dans la sous-région. Pas sûr que celui-ci lui accorde les mêmes subsides en 2018.

Deuxièmement, une candidature Bemba permettrait de disperser davantage les voix dans le camp de l’opposition. Or, pour espérer s’imposer, fût-ce par procuration à travers un dauphin, Joseph Kabila compte sur la machine à voter (rapidement rebaptisée par les Congolais « machine à tricher ») et sur un fichier électoral vicié à plus de 25 % selon l’OIF ; mais aussi, compte tenu du niveau d’impopularité de son régime, sur l’éparpillement des voix dans le camp de l’opposition, solution efficace à ses yeux pour réduire le poids électoral de Moïse Katumbi, le seul opposant que craint Joseph Kabila (pour une analyse détaillée, lire ici aussi l’article du Point).

Troisièmement, Joseph Kabila a besoin de la présence de Jean-Pierre Bemba pour pouvoir dire à l’opinion congolaise et à la communauté internationale que les élections organisées sont bel et bien inclusives. Et que si Moïse Katumbi (son obsession…) est écarté de la course, ce ne serait au fond qu’un cas individuel, isolé.

Le 28 juillet dernier, Alain-André Atundu, le porte-parole de la majorité, avait déclaré que « le sénateur [Bemba] pourrait tomber sous le coup de l’article 10 de la loi électorale en ce qu’il dispose que « les personnes condamnées par un jugement irrévocable du chef de corruption sont inéligibles » ». Or, poursuivait-il, « il est évident, pour tout esprit normalement constitué, que la subornation de témoins est une corruption de témoins. »

Des propos qui ont ravi le clan des faucons au sein du PPRD mais qui sont en réalité un faux-nez, tout comme le sont les petites tracasseries qui ont émaillées le retour du patron du MLC (annulation de vol, gaz lacrymogènes tirés par des policiers, etc.) censées démontrer à l’opinion publique et à la communauté internationale que Kinshasa ne cherche pas à favoriser l’arrivée de tel opposant alors qu’elle serait tentée d’entraver dans deux jours celle d’un autre…

Quoi qu’ils en disent et quoi qu’ils fassent, Joseph Kabila et sa majorité présidentielle ont tout intérêt à laisser prospérer la candidature de Jean-Pierre Bemba.