La Commission électorale nationale indépendante du Congo, organe très proche du pouvoir, a rendu publics cette nuit les résultats provisoires de l’élection présidentielle, déclarant vainqueur Félix Tshisekedi. Cette solution, qui permet à Joseph Kabila d’assurer la pérennité de son régime, pourrait cependant n’être qu’éphémère.
Pour les observateurs les plus attentifs de la vie politique RD congolaise, la surprise est somme toute très relative. Cela faisait en réalité plusieurs mois que les médias s’étaient fait l’écho de tractations entre le pouvoir en place et l’entourage du président de l’UDPS en vue des élections (lire en particulier l’article paru dans Le Point le 22 octobre 2018 : Ce coup que préparent Kabila et Tshisekedi).
Ce jeudi 10 janvier dans la minuit, la CENI, organe très proche du pouvoir et dont la neutralité est sujette à caution, a proclamé vainqueur de l’élection présidentielle Félix Tshisekedi avec 38,7 % des voix contre 34,8 % pour Martin Fayulu et 23,8 % pour Emmanuel Ramazani Shadary. Le taux de participation ressort, lui, à 47,56 %. En réalité, Joseph Kabila n’avait pas le choix. Faire déclarer vainqueur son candidat, le dauphin Shadary, était impossible compte tenu de son score réel très faible (autour de 9 % selon de très nombreuses sources). Souhaitant à tout prix éviter une victoire de l’opposant Martin Fayulu, soutenu par ses deux rivaux héréditaires Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba (crédités selon les mêmes sources, provenant d’institutions différentes, de 58 à 62 % des suffrages), il n’avait dès lors pour alternative que de se rabattre sur celui arrivé selon toute vraisemblance second du scrutin (avec 23 % des voix environ selon les mêmes sources).
Félix Tshisekedi, le choix de Joseph Kabila
Cette solution n’était certes pas celle initialement envisagée par Joseph Kabila qui n’a pas tari d’efforts pour faire gagner son dauphin, Emmanuel Ramazani Shadary. Elle présente néanmoins pour lui trois grands avantages. Premièrement, en consacrant vainqueur non pas son candidat mais un autre, qui plus est issu des rangs de l’opposition, il espère désamorcer la pression potentiellement très forte tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. A l’inverse, la déclaration d’une victoire d’Emmanuel Ramazani Shadary n’aurait pas manqué de susciter une levée de bouclier, comme un seul homme, à l’intérieur du pays et une dangereuse réprobation générale à l’extérieur.
Deuxièmement, des garanties ont été données à Joseph Kabila par Félix Tshisekedi. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à voir les éloges publics faits par le second au profit du premier ces derniers jours dans les médias. Il faut dire que le terrain avait été préparé de longue date. Cela fait plusieurs mois que des négociations sont en cours entre les deux camps. Celles-ci se sont intensifiées au lendemain du scrutin, portant sur deux points principaux : les assurances données à l’actuel président, ainsi que la répartition des postes entre les deux camps au sein de l’Exécutif comme du Législatif.
Un président sans réel pouvoir faute de majorité parlementaire
Troisièmement, l’option de laisser la CENI déclarer vainqueur de la présidentielle Félix Tshisekedi, pour spectaculaire qu’elle soit, est en réalité peu sacrificielle pour Joseph Kabila. Comme il l’avait déjà fait au moment où il a renoncé sous la pression à briguer un troisième mandat, celui-ci se coupe un doigt pour sauver le bras. En effet, dans le système institutionnel RD congolais, ça n’est pas le président mais la majorité parlementaire qui concentre tous les pouvoirs.
C’est ce que nous a expliqués une source haut-placée au sein de la majorité. « En réalité, en RDC, le président n’a aucun pouvoir à partir du moment où il ne contrôle pas le parlement. C’est la majorité parlementaire et le premier ministre qui en est issu qui comptent dans le système congolais. Or, cette majorité ne changera pas de main. C’est pourquoi, même si Félix [Thsisekedi] est proclamé président, à partir du moment où il n’aura pas la majorité parlementaire, que tous les gouverneurs de province ne sont pas de son bord, et qu’il ne contrôle pas l’armée, comme c’est le cas du président actuel, il n’a aucun pouvoir. Il ne peut même pas nommer un haut-fonctionnaire car les décrets doivent être contre-signés par le premier ministre. Il est juste bon à inaugurer les chrysanthèmes. Souvenez-vous des difficultés de Joseph Kasavubu président face au premier ministre, le très remuant Patrice Lumumba. Et bien là, ce serait pareil », nous a indiqué celui qui a exercé il y a encore deux ans de très hautes fonctions institutionnelles.
Un président en sursis ?
Surtout, la proclamation par la CENI ne signe pas la fin de l’Histoire. D’une part, au sein de la majorité, nombreux sont ceux à évoquer l’hypothèse d’une annulation des élections devant la Cour constitutionnelle. « Félix est un candidat en sursis. Les motifs d’invalidation de son élection sont nombreux. Il n’y a pas que l’histoire du faux diplôme », croit savoir un haut cadre du Front Commun pour le Congo (FCC), la plateforme électorale de la majorité. De fait, nombreux sont les responsables du PPRD, le parti de M. Kabila, à voir en Félix Tshisekedi un président en sursis. Il est vrai qu’en pareille hypothèse, le président actuel se maintiendrait au pouvoir jusqu’à l’organisation de prochaines élections et l’investiture du nouveau président…
D’autre part et surtout, il y a fort à craindre que les partisans de la coalition Lamuka, dont le candidat Martin Fayulu a probablement remporté haut la main le scrutin du 30 décembre, ne manqueront pas de laisser exprimer leur colère. Or, à l’exception du Grand Kasaï, fief de Tshisekedi, ceux-ci sont majoritaires partout : à l’ouest (l’Equateur notamment, province de Jean-Pierre Bemba), dans le centre ouest (dans le Bandundu d’où est originaire Martin Fayulu), à l’est également que dans l’ex-Katanga (où le patron s’appelle Moïse Katumbi), ainsi que dans le grand nord-est, en pays Nandé, fief d’Antipas Mbusa Nyamwisi, sans compter Kinshasa, la capitale, qui a majoritairement voté en faveur du candidat de Lamuka. Le risque d’un embrasement du pays est, hélas, désormais bien réel.
Risque d’embrasement
La CENCO l’a d’ailleurs rappelé aujourd’hui dans un communiqué dans lequel elle dit craindre « une situation qui ramènerait la RDC en arrière. » Le jour du scrutin, l’Eglise catholique a déployé 40 000 observateurs. Elle dispose, en outre, grâce à la mise en place d’un système très efficace de remontée des données, de la totalité des PV authentiques signés dans les quelque 74 000 bureaux ouverts le jour du vote. Elle détient par conséquent « la vérité des urnes ». Et, elle a prévenu, elle ne se taira pas.
Enfin, la position de la SADC pourrait également être déterminante. En avril dernier, l’institution sous-régionale sud-africaine avait déjà fait pression de manière décisive, contraignant Joseph Kabila à renoncer à briguer un troisième mandat. En novembre 2017, la menace, de la part de cette même institution, d’une intervention armée au Zimbabwe avait fait capoter le projet de Robert Mugabe de remettre le pouvoir entre les mains de sa femme Grace. Son degré d’implication dans la crise post-électorale, qui paraît désormais inéluctable, en RDC dépendra probablement de l’ampleur de la contestation populaire.