Suite au départ il y a trois mois des ministres restés fidèles à Moïse Katumbi, le gouvernement en République démocratique du Congo a été remanié dans la nuit du 23 au 24 mars. Ce remaniement fait-il réellement bouger les lignes sur le plan politique à quelques mois de la date officielle de l’élection présidentielle ? Pourquoi Jean-Pierre Bemba et Vital Kamerhe ont-ils accepté de redevenir « simples » membres du gouvernement, fut-ce avec le statut honorifique de vice-premier ministre ? Dans quelle mesure ce remaniement est-il une bonne opération pour Félix Tshisekedi ? Nous avons posé la question à de fins connaisseurs de la vie politique congolaise.
« C’est un remaniement à usage interne, au sein de la majorité », explique un politologue, spécialiste de la RDC. « Il n’y a aucune prise de guerre significative du côté de l’opposition. En réalité, c’est un jeu de chaises musicales. On prend les mêmes et on les change de place. C’est un peu comme faire du neuf avec du vieux », poursuit-il, rappelant que « Vital Kamerhe s’est rallié à Félix Tshisekedi dès 2018 et que Jean-Pierre Bemba l’a rejoint en 2020 ». « C’est moins », conclut-il, « un événement politique que médiatique. Il y a beaucoup d’affichage. Les noms de Bemba et de Kamerhe font parler, mais leur capital sympathie s’est beaucoup érodé dans l’opinion publique congolaise ces dernières années. Politiquement, ça ne fait guère bouger les lignes à quelques mois de la date officielle de la présidentielle. »
Pourquoi Jean-Pierre Bemba et Vital Kamerhe ont accepté de revenir au gouvernement
« Les analyses faites à ce sujet ces dernières heures sont très superficielles », sourit notre interlocuteur, ancien ministre de passage à Bruxelles. « Parce qu’à leur place, j’aurai refusé ». Pourquoi, lui demande-t-on ? « Pour 3 raisons », rétorque-t-il aussitôt. « D’abord, le contexte. Entrer dans le gouvernement en fin de mandat alors que le bilan sur le plan sécuritaire, économique et social est aussi mauvais, n’est pas dans l’intérêt des nouveaux entrants. Le voudraient-ils qu’ils n’auraient pas le temps de redresser la situation, d’autant que les élections se profilent à l’horizon. En général, ce genre de personnalités font leur entrée (au gouvernement) au début et le quittent avant la fin. Là, c’est l’inverse », fait-il observer.
« Ensuite, le timing », poursuit cet ex-ministre. « Dans ce genre de situation, quand vous êtes un allié politique, vous avez intérêt à dévoiler votre jeu le plus tard possible pour faire monter les enchères et vous aménager une porte de sortie au cas où les choses tournent mal. Or, là, il reste encore huit mois avant la date officielle de la présidentielle, et sans doute plus car je parierais volontiers sur un glissement », souligne-t-il.
« Enfin, il y a l’objet de la nomination. Jean-Pierre Bemba et Vital Kamerhe ont à eux deux plus de 80 ans de vie politique. Ils ont une certaine stature. Le premier a été vice-président, le second président de l’Assemblée nationale et directeur de cabinet du Président. Au point où ils en sont de leurs carrières, les voir retourner comme simples ministres dans un gouvernement dirigé par quelqu’un de quasi-inconnu il y a peu et de vingt ans leur cadet (Sama Lukonde, NDLR), il y a quelque chose de dégradant. C’est comme s’ils régressaient », fait remarquer l’homme toujours actif en politique. Par ailleurs, complète-t-il, « s’agissant de Vital, il faut bien noter qu’il est ministre de l’Economie nationale et que son portefeuille ne comprend pas les Finances. C’est l’UDPS, via Nicolas Kazadi, qui garde la haute-main sur cette fonction stratégique ». On n’est jamais trop prudent en effet, surtout avec ses alliés…
Que diable sont-ils donc venus faire dans cette galère ?
Dans ces conditions, « que diable allaient-ils faire dans cette galère », lui demande-t-on ? La réponse est aussi concise que précise. « Vital Kamerhe a des soucis d’argent depuis qu’il est sorti de prison. Une histoire familiale compliquée dont je ne veux pas ici entrer dans les détails. Mais il a besoin d’argent. C’est pour cela qu’il a accepté. Dans le microcosme politique congolais, tout le monde le sait », assure-t-il, esquissant un léger sourire.
Et pour Jean-Pierre Bemba ? « Pour lui, c’est un peu plus compliqué. Il y a à la fois un enjeu financier. Il attend toujours de la Justice congolaise d’être indemnisé dans diverses affaires qui remontent du temps de Joseph Kabila (RVA, BCDC…). A la clé, c’est une centaine de millions de dollars qui sont en jeu. Or, chez nous, pour obtenir quelque chose de la Justice, mieux vaut être du bon côté de la balance. Mais il y a aussi, et peut-être surtout, une dimension judiciaire. Si vous avez bien remarqué, depuis deux ans, Jean-Pierre (Bemba) n’a pas quitté le Congo. Alors qu’avant il se rendait fréquemment en Europe, à Bruxelles et au Portugal, aujourd’hui il passe son temps entre Kinshasa et Gemena parce qu’il craint d’être arrêté (…) Il a été cité par Roger Lumbala (un ex-chef rebelle congolais, arrêté à Paris le 4 janvier 2021 pour « complicité de crime contre l’humanité » commis en 2002 en RDC) et il craint d’être à nouveau arrêté dans le cadre d’un mandat d’arrêt international », éclaire cet ancien ministre, très informé. Et d’insister : « Sa liberté et son avenir judiciaire dépendent du bon vouloir de Félix Tshisekedi car il pourrait y avoir dans les mois à venir une demande d’extradition le concernant. »
Une bonne opération pour Félix Tshisekedi ?
Si c’est moins par intérêt ou calcul politique que pour des raisons personnelles que Bemba et Kamerhe ont accepté de monter dans la barque gouvernementale, qu’en est-il pour Félix Tshisekedi ? Est-ce une bonne opération pour lui ? Selon ce diplomate de retour à Bruxelles après des années passées à Kinshasa, « il faut distinguer plusieurs niveaux d’analyse. » « Sur un plan médiatique, on peut dire que c’est une bonne opération car ça permet d’afficher le soutien de personnalités imposantes à huit mois de l’élection présidentielle. Sur le plan politique, c’est également une bonne opération dans la mesure où Félix Tshisekedi caporalise ses troupes avant le scrutin. Il montre que c’est lui le leader et que MM. Bemba et Kamerhe, en dépit de leurs statures, sont derrière. »
« Mais », tempère le diplomate, « cette opération n’est bénéfique que dans son propre camp, celui de la majorité. Ça n’impacte en rien le rapport de force entre la majorité institutionnelle et l’opposition dans le pays. Il aurait fallu pour cela qu’un authentique opposant de renom accepte de rejoindre le gouvernement, ce qui n’a pas été le cas. D’autre part, il faut garder à l’esprit que le poids politique d’un Bemba et d’un Kamerhe aujourd’hui est sans commune mesure avec celui qu’il était il y a dix ou quinze ans », observe-t-il, concluant que « l’impact sur la présidentielle de 2023 est quasi-nul. »
Quid de l’effet à l’international ?
Et quid de l’impact de ce remaniement à l’international ? Pas certain que celui soit du meilleur effet. « M. Félix Tshisekedi nomme quelqu’un jugé pour crime de guerre à la Défense et pour corruption à l’Economie. Bon courage pour discuter avec les institutions internationales… », résume en une formule le responsable d’une grande organisation non gouvernementale basée à Washington.
Mais pour ce haut-diplomate américain, en poste récemment dans la région des Grands Lacs, si les nominations de Bemba et de Kamerhe au gouvernement sont problématiques, une autre, davantage passée inaperçue, l’est plus encore : celle de l’ex-chef de guerre Antipas Mbusa Nyamwisi. « On voit bien l’enjeu politique, pour ne pas dire électoraliste, qui préside à la nomination de M. Mbusa Nyamwisi. Mais nommer quelqu’un d’aussi notoirement proche de l’Ouganda au poste de ministre de la Coopération régionale au moment où la guerre à l’Est suppose de discuter avec l’ensemble des pays des Grands Lacs, y compris le Rwanda, a quelque chose de surréaliste », commente le diplomate, qualifiant ce choix de « hasardeux ».
Au final, il est tout sauf certain que ce remaniement d’affichage, aux effets plus médiatiques que politiques, profite véritablement à Félix Tshisekedi à quelques mois de la date théorique de l’élection présidentielle.