Sur le papier, c’est le mariage de la carpe et du lapin. L’alliance que s’apprête à nouer le zélote des régimes Mobutu et Kabila avec le fils de l’opposant historique au Congo-Kinshasa ne surprend guère les observateurs les plus attentifs de la vie politique RD congolaise. Elle est le signe que la candidature à l’élection présidentielle de Félix Tshisekedi bénéficie de la bienveillance de Joseph Kabila.
Nous sommes en janvier 2018. La tension est à son comble en République Démocratique du Congo où les catholiques sont descendus dans les rues pour réclamer l’application de l’accord de Saint-Sylvestre signé un an plutôt et qui prévoyait, outre le départ à une date déterminée du président Kabila, des mesures de décrispation et un gouvernement de large union nationale. Des engagements restés lettres mortes.
Le Comité Laïc de Coordination (CLC), une association née à la suite de ces revendications, accuse alors le pouvoir congolais d’avoir violé cet accord. Dos au mur, Joseph Kabila est contrait d’agir. D’autant qu’avec les manifestations, réprimées dans le sang, Kinshasa se met à dos la communauté internationale dont un nombre croissant de pays africains.
Kabila à la recherche d’une béquille pour se maintenir au pouvoir
Joseph Kabila cherche alors une béquille sur laquelle il pourrait s’appuyer. Ses émissaires ne tarderont pas à entrer en contact avec le principal parti d’opposition, l’UDPS, dans le but de lui proposer un « deal » au terme duquel Félix Tshisekedi Tshilombo serait nommé au poste de premier ministre. Pendant plusieurs semaines, des discussions entre les missi dominici du président RD congolais, dont la délégation est conduite par Jean Mbuyu, le conseiller spécial de Joseph Kabila, et ceux de Félix Tshisekedi, vont aboutir à l’accord informel du 21 avril scellé à Kinshasa. L’un des points de cet accord est le rapatriement en RDC du corps d’Etienne Tshisekedi qui repose encore à ce jour dans une morgue à Bruxelles depuis son décès en février dernier. Officiellement, il n’est pas question d’une quelconque nomination pour la primature. Mais officieusement, si.
A l’époque, les « circonstances », les pressions et dénonciations, dissuaderont Félix Tshisekedi d’y donner suite. Pas encore désigné leader de son mouvement (il ne sera désigné président de l’UDPS qu’en juillet), ce dernier jouit d’une marge de manœuvre très limitée. Pour autant, ce « plan » d’ensemble n’est pas, loin de là, abandonné (lire à ce sujet le très informé et complet article paru le 22 octobre 2018 dans Le Point Afrique : Ce coup que préparent Kabila et Tshisekedi).
Kin-Kiey Mulumba dans le rôle d’entremetteur entre Kabila et Tshisekedi
Mais que vient faire Tryphon Kin-Kiey Mulumba dans toute cette affaire ? Dès le début des négociations entre le pouvoir et Félix Tshisekedi, c’est lui, le fondateur de Kabila Désir, qui fait le lien entre les deux camps. L’élu de Masi-Manimba dans la province du Kwilu (ouest du pays), qui dit disposer « de solides contacts à Limete », déploie des trésors d’énergie pour fluidifier les échanges entre le conseiller Mbuyu et le fils du Sphinx de Limete. « Il adore jouer les entremetteurs », confirme un baron du régime Kabila qui le côtoie depuis trente ans.
Le contact privilégié de Kin-kiey Mulumba est en réalité Gilbert Nkankonde, le plus proche collaborateur de Félix Tshisekedi. Un soir, le président de Kabila-Désir se rend en 4×4 en direction du quartier Kingabwa pour y rencontrer un proche de M. Nkakonde. « C’est avec lui que Kin-kiey a établi le premier contact. Ensemble, ils ont eu une discussion de près d’une heure au cours de laquelle Kin-Kiey a exposé ce que Kabila souhaitait. Il a également fait savoir à son interlocuteur que le président congolais était disposé à partager le pouvoir avec Félix Tshisekedi », explique un témoin direct des événements. A l’issue de cette rencontre, une petite équipe sera mise en place qui réunira des proches des deux camps afin de faciliter les échanges.
Aujourd’hui, Tryphon Kin-kiey Mulumba, candidat à la prochaine élection présidentielle, se retire donc de la course au profit de Félix Tshisekedi, qui lui-même s’est retiré de l’accord de Genève (qui a désigné Martin Fayulu comme candidat commun de l’opposition), formant ainsi une bien étrange coalition. L’annonce en a été faite à l’occasion d’une réunion samedi 1er décembre en début d’après-midi à Limete au domicile de M. Tshisekedi et non à celui d’un ami commun comme il a été dit ça ou là (voir photo).
Tout faire pour permettre à Tshisekedi de terminer deuxième de la présidentielle derrière Shadary mais devant Fayulu
Reste à en connaître la raison. Pour ce faire, il faut interroger l’entourage du président de l’UDPS, dont une partie n’a pas digéré le rapprochement avec le camp du pouvoir, en germe depuis plusieurs mois déjà souhaité par une autre partie de ses proches (Peter Kazadi, Jean-Marc Kabund, Augustin Kabuya et une partie de sa famille biologique). « Il s’agit de crédibiliser la candidature de Félix Tshisekedi, montrer qu’il bénéficie de ralliements. Ça fait partie de la stratégie », explique un ex-compagnon de route du président de l’UDPS qui a, depuis Genève, pris définitivement ses distances.
La base électorale de Félix Tshisekedi est en effet réduite pour l’essentiel au Kasaï et à une petite partie de Kinshasa. Insuffisant pour en faire l’opposant numéro un aux yeux des Congolais et de la communauté internationale. D’où la nécessité des ralliements de Vital Kamerhe (à l’est), de Tryphon Kin-Kiey Mulumba (à l’ouest), de Samy Badibanga (au centre-ouest), etc. « Le régime a besoin de crédibiliser un score élevé de Félix Tshisekedi lors de l’annonce des résultats des élections. Le moment venu, il faudra peut-être doubler son score, le faire passer de 15 à près de 30 % des voix d’un coup de baguette magique pour hisser Félix à la deuxième place devant Shadary et derrière Fayulu qui sera rétrogradé. Joseph Kabila a besoin de justifier la nomination de Félix par son bon résultat électoral à la primature », poursuit cet ex-lieutenant du président de l’UDPS.
En septembre dernier, Kin-kiey Mulumba, pourtant déjà candidat, avait promis de « poursuivre l’œuvre de Joseph Kabila ». Dans l’esprit des stratèges du régime de Kinshasa, cela passe par le fait de couver avec bienveillance la candidature de Félix Tshisekedi, l’opposant officiellement choisi par Joseph Kabila pour crédibiliser son processus électoral et asseoir son règne à l’issue du scrutin. En RDC, les manœuvres pour le partage du gâteau post-électoral se poursuivent. Les 80 millions de Congolais, eux, n’en auront pas une seule miette.