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RDC : Le camp présidentiel veut profiter de la proposition de loi Sesanga pour permettre à Tshisekedi de rester au pouvoir jusqu’en 2037

Le député national Delly Sesanga à la tribune de l'Assemblée nationale ce mardi 22 mars 2022. Quatre mois plus tôt, début décembre 2021, il avait qualifié Christophe Mboso, le président pro-Tshisekedi de cette même Assemblée, de "voyou" et de "délinquant". Manifestement, celui-ci ne lui en tient plus rigueur aujourd'hui... © Twitter/DSESANGA

L’Assemblée nationale a adopté hier mardi l’ordre du jour de sa session parlementaire de mars. Si la proposition de loi relative à la modification de la Constitution portée par le député Delly Sesanga (Envol/opposition) n’y a finalement pas été inscrite, elle n’a pour autant pas été retirée. Et pour cause, le camp présidentiel compte bien l’utiliser le moment venu pour y introduire des amendements dans le but de permettre à Felix Tshisekedi d’effectuer potentiellement trois mandats à la tête du pays. Explications.

 « Qui veut faire l’ange fait la bête ». L’aphorisme du philosophe Pascal sied à la proposition de loi de l’honorable député d’opposition Delly Sesanga.

Celle-ci porte certes sur des points consensuels dans la population comme au sein de la classe politique (élection présidentielle à deux tours, élection des gouverneurs au suffrage universel direct, possibilité d’une double nationalité, etc.) . En soi, rien de mal intentionné, bien au contraire.

Mais cette proposition de loi est perçue par le camp présidentiel comme un « cheval de Troie providentiel » à un an et demi de l’ouverture d’un cycle électoral déterminant. Les pro-Tshisekedi ne cachent plus en effet leur volonté de modifier substantiellement la Constitution en prônant le passage d’un régime semi-présidentiel à un régime présidentiel pur et de porter le mandat du président de 5 à 7 ans. Des modifications qui autoriseraient le président actuel, Félix Tshisekedi, à repartir « balles neuves » et ainsi effectuer non pas deux mais trois mandats comme ce fut le cas au Sénégal ou en Côte d’Ivoire.

A l’évidence, la proposition de loi déposée par Delly Sesanga serait l’occasion pour les partisans du chef de l’Etat de déposer une série d’amendements dans le but non pas de modifier mais de changer la Constitution. On est donc très loin de l’objet et de l’esprit de la proposition de loi de Delly Sesanga. Car en vertu de l’actuelle Constitution adoptée par referendum en 2004, les dispositions relatives à la forme du régime politique et à la durée ainsi qu’au nombre de mandats du président ne peuvent être modifiés. Seule possibilité pour y parvenir : passer à une autre Constitution.

Cheval de Troie providentiel

Probablement conscient de ce que sa proposition de loi est susceptible d’être détournée de son objet initial, Delly Sesanga a hier, mardi, plaidé devant les députés lors du débat sur la fixation de l’ordre du jour pour le report de l’examen de son texte au motif qu’aucune modification de la Constitution ne peut intervenir quand le pays est sous état de siège, comme c’est le cas depuis plus d’un an (art. 219 de la Constitution). Avec succès car son examen a bien été reporté…

.. Mais le texte, lui, n’a pas été retiré. Ce qui signifie qu’il pourrait être à nouveau inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale « quand les circonstances s’y prêteront », pour paraphraser un député de l’Union sacrée, c’est-à-dire quand l’état d’urgence aura été levé. « Ce texte pourra être réinscrit à l’ordre du jour lors de cette session. Juridiquement, c’est tout à fait possible car l’ordre du jour, s’agissant d’un session parlementaire ordinaire, peut être modifié à tout moment. Sinon, la proposition pourra aussi l’être lors de la session de septembre », explique ce député national du Nord-Kivu.

Proposition de loi retirée… provisoirement

Cette probabilité est d’autant plus forte que, comme le rappelle un professeur en science politique congolais travaillant dans une université belge, « la décision de lever l’état d’urgence appartient au président de la République […] Celui-ci pourra toujours à un moment plus propice dire que la situation à l’est s’est arrangée ou bien qu’il faut essayer autre chose pour y lutter contre les groupes rebelles et ainsi lever l’état de siège, ce qui autoriserait alors la modification de la Constitution. C’est du cynisme car les tueries se poursuivront, voire s’intensifieront à l’est, mais on sait ce qu’il en est depuis Machiavel », prévient l’universitaire.

« Une fois de plus, la population du Nord-Kivu et de l’Ituri pourrait être sacrifiée. En 2018, elle a déjà été privée d’élections officiellement pour cause d’insécurité. Aujourd’hui, on veut encore se servir d’elle pour des motifs politiques, alors qu’elle court un grand danger », alerte un député provincial élu de Goma. De fait, en cas de levée de l’état de siège, les massacres pourraient bien s’intensifier.

C’est ce que craignent d’ailleurs bon nombre de parlementaires de l’opposition. « La proposition de loi de Delly Sesanga a ouvert une brèche et les pro-Tshsisekedi vont tenter, d’ici la fin 2023, de s’y engouffrer. C’est aussi clair que de l’eau de roche. Sinon, comment expliquer que cette proposition de loi, émanant d’un député d’opposition, est vu subitement avec autant de bienveillance par les parlementaires de l’Union sacrée », fait observer un sénateur PPRD resté fidèle à l’ancien président Joseph Kabila. Celui-ci rappelle que « Delly Sesanga a déposé initialement sa proposition de loi au début de la législature en 2019. Et ça n’est qu’aujourd’hui, trois ans plus tard et à un an et demi de la prochaine élection présidentielle, qu’on accepte de l’inscrire à l’ODJ ? », fait mine de s’interroger l’élu.

Modus operandi similaire à celui employé pour la « loi Tshiani »

Une analyse partagée par cet ambassadeur européen expérimenté qui va jusqu’à faire un parallèle avec la très controversée proposition de loi Tshiani. « Finalement, même si l’intention de M. Sesanga, que je connais personnellement et que j’estime, n’est pas du tout la même que celle de M. Tshiani et sans comparer l’un et l’autre texte sur le fond, il y a à l’évidence des similitudes dans les deux cas, en particulier sur la façon de procéder de la part des pro-Tshisekedi. A chaque fois, les partisans du président s’abritent derrière un tiers qui n’appartient pas à leur camp – de son plein gré pour Noël Tshiani et contre sa volonté dans le cas de Sesanga –  pour pousser leur avantage tout en minimisant leurs responsabilités. Car ils pourront toujours dire, en cas de levée de bouclier dans le pays ou de tollé à l’international, qu’ils n’en sont pas à l’initiative et qu’il faut jeter la pierre sur d’autres », explique le haut-diplomate.

Tshisekedi au pouvoir jusqu’en 2037 !

En RDC, l’élection présidentielle est prévue fin 2023. L’actuel président, Félix Tshisekedi, a fait part à plusieurs reprises de son intention de se représenter. Il ne peut cependant compter, pour l’emporter, ni sur son bilan (rachitique, voire inexistant, comme il l’a lui-même avoué à demi-mots dans une interview au Soir de Bruxelles) ni sur sa base électorale (étriquée, représentant à peine 18 à 22 % du corps électoral). Partant, il est à la recherche d’un moyen lui permettant d’enjamber l’obstacle. Le changement de la Constitution en fait partie. Car si certains hommes politiques sont prêts à prendre le risque de rester encore cinq ans dans l’opposition (ce qui serait le cas si M. Tshisekedi l’emporte en 2023), plus rares sont ceux à vouloir aller au-delà (jusqu’en… 2037 !). C’est tout l’intérêt pour l’actuel chef de l’Etat de changer aujourd’hui la Constitution : outre de lui permettre d’effectuer trois mandats et non seulement deux, qui plus est des septennats en lieu et place de quinquennats, elle rendrait moins ardue son éventuelle réélection en 2023.