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RDC : Kabila, redoutable metteur en scène d’une comédie remarquablement jouée par Tshisekedi et Kamerhe

Vital Kamerhe et Félix Tshisekedi viennent de faire faux-bon au reste de l'opposition en se retirant de l'accord de Genève 24 heures seulement après sa signature © DR

24 heures seulement après avoir signé l’accord de Genève désignant Martin Fayulu comme candidat commun de l’opposition, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe ont opéré un revirement à 180 degrés via un mode opératoire étrangement identique. Un scénario qui ravit Joseph Kabila. 

Il n’aura pas fallu plus d’un jour à Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe pour récuser leurs signature. Dimanche 11 novembre, en fin d’après-midi, le président de l’UDPS et celui de l’UNC apposent leur paraphe sur le document entérinant la désignation de Martin Fayulu comme candidat unique de l’opposition. Le lendemain, les deux opposants font volte-face quasiment au même moment et via un procédé sensiblement identique tant sur la forme que sur le fond.

Sur la forme, une même manière de procéder 

Tout commence le dimanche 11 novembre au soir. Du côté de l’UDPS comme de l’UNC, certains lieutenants de Tshisekedi et Karmerhe (Peter Kazadi, Billie Kambale…) montent au créneau à travers des messages au ton très incisif postés sur les réseaux sociaux pour être lus de tous. Le but de l’opération : montrer que « la base » de leur parti refuse catégoriquement la désignation de Martin Fayulu. Dans la foulée, du côté de l’UDPS comme de l’UNC toujours, on fait sonner le tocsin par la jeunesse du parti. Des communiqués sont publiés de part et d’autre qui expriment une même colère suite à la désignation du président de l’ECiDé comme candidat unique de l’opposition.

Le lendemain également, l’UDPS et l’UNC suivent un même scénario. Au même moment quasiment, peu avant midi (heure de Kinshasa), des manifestations ont lieu devant les sièges respectifs de ces deux partis dans la capitale congolaise : à Limete pour l’UDPS, sur le boulevard Triomphal pour l’UNC. La police, d’habitude toujours très prompte pour réprimer les mouvements de foule, n’intervient pas. Mieux, elle encadre les manifestants. Ainsi, offre-t-on aux yeux de l’opinion le spectacle d’une « base » mécontente de la signature de ses leaders à Genève.

Fort de ces éléments, en fin d’après-midi, et quasiment au même moment, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe annoncent tous deux qu’ils se retirent de l’accord de Genève. Ils le font via un procédé étonnement identique : l’exclusivité de leur propos est réservée à Top Congo FM, une radio très proche du pouvoir de Kinshasa (aurait-on voulu le faire avec de plus gros sabots qu’on aurait eu du mal…) ; et les deux hommes lisent une déclaration qui est à la fois enregistrée en audio mais aussi filmée en vidéo (comme s’il fallait apporter la preuve irréfragable que celle-ci était bien authentique).

Sur le fond, un argumentaire identique

Similaires sur la forme, les interventions de Thsisekedi et Kamerhe se ressemblent de façon spectaculaire sur le fond. Dans les deux cas, l’argumentaire et la conclusion sont peu ou prou les mêmes. Les deux « opposants » affirment que leurs « bases » respectives (sans que l’on sache, au demeurant, ce que ce vocable aisé recouvre comme réalité) sont farouchement contre cet accord de Genève et qu’ils sont donc contraints de récuser leurs signatures (qui n’ont pourtant, semble-t-il, pas été extorquées).

Dans les rangs de l’opposition, c’est la stupéfaction (mais pas la surprise). Martin Fayulu se dit « révulsé » par cette « décision grave ». Du côté de la majorité, on pavoise. Néhémie Mwilanya Wilondja et Jean-Pierre Kambila, respectivement directeur de cabinet et directeur de cabinet adjoint de Joseph Kabila, ont du mal à masquer leur joie. Ils offrent même aux deux « félons » du jour de rejoindre la grande famille du FCC, le Front Commun pour le Congo, la plate-forme électorale qui soutient la candidature d’Emmanuel Ramazani Shadary à l’élection présidentielle.

La décision de Vital Kamerhe de renier sa signature de l’accord de Genève n’a surpris personne. L’homme est connu pour être constant dans son inconstance (lire à ce sujet l’article de Pierre Boisselet paru le 22 septembre 2016 dans Jeune Afrique : Souvent, Vital Kamerhe varie). Il a, ces dernières années, jouer un double-jeu, se disant dans l’opposition tout en maintenant des contacts étroits avec Joseph Kabila et son clan.

Kabila sabre le champagne

Plus décevante, en revanche, a été pour certains responsables de l’opposition la décision de Félix Tshisekedi de revenir lui aussi sur son engagement. Reste que les fils ne sont pas les pères. Force est de constater que Félix en est la preuve. Incapable d’affirmer son leadership et de contenir les ambitions de sa famille ou de son entourage (Peter Kazadi, Augustin Kabuya, Jean-Marc Kabund…) pressés d’accéder sous une forme ou sous une autre au pouvoir et aux avantages que celui-ci procure, Félix Tshisekedi a probablement signé hier sa mort politique. Pour complaire à une poignée de proches, il s’est aliéné l’écrasante majorité des Congolais qui le perçoit désormais comme un pion dans le vaste jeu mené de main de maître par Joseph Kabila. Pire, un tel revirement aussi rapide, alimente le soupçon de plus en plus tenace sur un deal conclu entre le président (hors mandat) et le leader de l’UDPS pour le partage du gâteau post-électoral (lire à ce sujet l’article très éclairant paru dans Le Point Afrique le 22 octobre dernier sous le titre : Ce coup que préparent Kabila et Tshisekedi).

Comme dit le proverbe, « il faut suivre le menteur jusqu’à la porte ». Ce fut le cas à Genève avec Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe qui n’ont, de toute évidence, à aucun moment eu l’intention de soutenir une candidature unique de l’opposition autre que la leur. Hier, Joseph Kabila a dû sabrer le champagne. En metteur en scène madré, il a offert le spectacle d’une bien triste comédie congolaise, cousue de fil blanc, dont il a conçu chacune des séquences et dont les scènes ont été parfaitement jouées par les deux acteurs principaux, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe. Pas sûr toutefois que les Congolais aient apprécié…