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RDC : « Joseph Kabila est si impopulaire que son dauphin Shadary n’a aucune chance de gagner les élections à la régulière » (interview de Maître Sonville Mukendi, porte-parole d’Ensemble dans le grand Katanga)

Maître Sonville Mukendi, le porte-parole d'Ensemble dans le grand Katanga © Sonville Mukendi – Twitter

Élu député national sur la liste PPRD en 2011, Norbert Basengezi est aujourd’hui vice-président de la Commission électorale indépendante (CENI) en RDC. Il a entamé depuis la semaine dernière une tournée  de sensibilisation sur le processus électoral qui cible les forces vives des différentes entités du grand Katanga, Lubumbashi, Kamina, Manono et Kalemie où il a séjourné, nous permettant de réaliser cette interview. Partout où il est passé, l’intéressé a juré que « le débat sur la machine à voter n’honore pas la modernité, que le fichier électoral constitue un alibi pour des candidats et des regroupements politiques non encore prêts pour les élections et que le refus de l’aide internationale au processus électoral par la Rdc ne saurait être un sujet de préoccupation ».

Maître Sonville Mukendi, porte-parole d’Ensemble dans le grand Katanga, a assisté à la séance d’explication organisée par Norbert Basengezi vendredi 2 novembre dernier au bâtiment du Trente juin. Il a accepté de se confier à notre correspondant à Lubumbashi, Jacques Vallon Kabulo.

Jacques Vallon Kabulo (JVK) : Norbert Basengezi est formel. « Qu’on le veuille ou non, les élections auront bel et bien le lieu à la date prévue et le 12 janvier 2019 la RDC organisera la première passation pacifique de pouvoir entre le président sortant et son successeur. » Qu’en dites-vous ?

Sonville Mukendi (SM) : L’opposition congolaise est dans la logique d’une passation apaisée et sérieuse. Or, celle-ci ne peut advenir qu’en cas d’élections crédibles et transparentes. Nous en sommes très loin aujourd’hui. Le processus électoral actuel est taillé sur mesure pour le candidat du Front commun pour le Congo (FCC), le dauphin désigné par Joseph Kabila, Emmanuel Ramazani Shadary.

J’ai bien suivi les propos de Norbert Basengezi. Ceux-ci me rappellent l’idéologie de l’école de Makanda Kabobi sous la deuxième République. Cela augure une parodie d’élections du type de celles organisées du temps du parti unique. Cela ne passera jamais dans la population.

JVK : Est-ce à dire qu’il n’y aura pas élections le 23 décembre prochain ?

SM : Nous sommes fermement engagés dans le processus électoral. Nous ne boycotterons pas ces élections. Mais ces élections doivent se faire, comme nous l’avons dit et répété, sans machine à voter et avec un fichier électoral révisé. Nous ne pouvons ni fermer les yeux, ni transiger sur ces deux préalables.

JVK : Norbert Basengezi soutient que s’opposer à la machine à voter, c’est cracher sur la modernité. Grâce à cette machine, soutient-il, « nous allons léguer aux générations futures un bel exemple électoral ». Votre réaction ?

SM : L’opposition n’est pas mue par le conservatisme. Refuser la machine à voter ne signifie nullement refuser l’innovation. Nous considérons, en revanche, que ce soit disant progressisme électoral est truffé de pièges. Ces machines n’inspirent pas confiance. A dire vrai, elles sont soupçonnées, et pas seulement par l’opposition congolaise, mais également par les citoyens et la communauté internationale, de faire le lit d’une gigantesque tricherie. D’autant que la majorité, qui tient coûte que coûte à utiliser cette machine, est incapable d’apporter les preuves de sa fiabilité et de sa neutralité. Si la majorité était de bonne foi et tenait à des élections crédibles et transparentes, elle renoncerait aux machines à voter. Elle ne le fait pas. Chacun sait pourquoi.

JVK : Les défenseurs de ces machines à voter mettent en avant le gain de temps, la miniaturisation des bulletins de vote, etc. Est-ce, selon vous, des atouts ?

SM : Des atouts peut-être, mais aussi certainement un danger. Vous avez entendu Norbert Basengezi affirmer que les premières machines étaient arrivées au pays voilà bientôt une année. Il vante leur qualité, leur longévité, etc. Ces machines seraient déjà déployées pour partie dans les aéroports, les places publiques… C’est bien beau. Mais il faut s’interroger sur le nombre des machines ainsi déployées, qui sont une infime minorité à ce jour, par rapport au total prévu, ainsi que sur leur usage le jour du scrutin. En réalité, et chacun le sait, y compris les gens de la CENI et de la majorité, ces machines n’ont qu’une vocation : permettre au candidat du FCC, très impopulaire dans le pays, d’afficher un plus grand nombre de voix que ses adversaires le jour du scrutin. C’est pour cela que la machine à voter a été retenue. Ne tournons pas autour du pot.

JVK : Des observateurs, des témoins et des journalistes seront-ils accrédités pour suivre le processus électoral ?

SM : Vous voyez sérieusement la CENI laisser approcher ces gens-là du serveur central ? Bien évidemment non. Les observateurs internationaux, le pouvoir l’a dit, ne sont pas les bienvenus. C’est d’ailleurs pour éviter leur présence que les autorités congolaises ont refusé tout financement extérieur pour ces élections. Quant aux journalistes, les stratèges du FCC ont déjà tout prévu. Ils ont créé la radio de la CENI et comptent engager des journalistes qui distilleront en temps réel une information officielle, totalement fabriquée, que certains médias peu critiques à l’encontre du pouvoir reprendront telle quelle en disant que ce sont des faits. Chez nous, au Congo, on a l’habitude.

JVK : Passons au fichier électoral. Pour Basengezi vos griefs à son encontre ne seraient qu’un alibi pour justifier votre mauvaise préparation quant au scrutin qui arrive à grand pas. Qu’en dites-vous ?

SM : Norbert Basengezi récite des quantités de chiffres dans le seul but de flouer l’opinion. Il rappelle les statistiques des électeurs enrôlés en 2006 et 2011 précisant qu’à l’époque, il n’y avait pas eu d’audit du fichier. Et il dit que cette fois-ci, il y a eu un audit fait par la CENI en interne et un autre fait par l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), ajoutant même, je cite : « à chacun son travail, pourquoi  au sujet du fichier électoral tout le monde veut s’ingérer dans notre cuisine interne. »

Parmi les personnes enrôlées, beaucoup l’ont été sans empreinte digitale. Pour s’en défendre, la CENI avance que parmi celles-ci, on compterait beaucoup d’agriculteurs, de creuseurs, etc., bref des gens dont le métier efface souvent leurs empreintes digitales. Tout cela n’est pas sérieux et ne fait que renforcer les suspicions d’une volonté de fraude massive de la part du pouvoir.

JVK : Sans solution sur ceux dossiers, la MAV et le fichier électoral, va-t-on droit dans le mur ?

SM : C’est évident. Tout est fait en vue d’une fraude massive en faveur du FCC, qui a absorbé les caciques du MPR et de l’AFDL, auxquels se sont joint de pseudo-opposants, .

JVK : Vous diriez que ce processus électoral est organisé de façon très politique, partisane ?

SM : Norbert Basengezi appartient au PPRD et au FCC. Il ne peut se défaire de cette double tunique sous prétexte qu’il est un cadre de la CENI. Il nous a dit qu’il a été le directeur de campagne de Joseph Kabila lors de la présidentielle de 2011 dans le Sud-Kivu. Je comprends qu’il soit ainsi récompensé pour le travail effectué. Et à son poste, aujourd’hui, il continue à favoriser les intérêts de son camp. Un camp qui manipule la CENI, instrumentalise la Cour constitutionnelle et qui recrute des ministres, un président de l’Assemblée nationale, des hauts-fonctionnaires, etc., pour les mettre au service du candidat dauphin. La majorité mélange de manière malsaine activité institutionnelle et activité partisane.

JVK : Tout de même, Joseph Kabila ne se représentera pas. C’est une satisfaction pour l’opposition, non ?

SM : Détrompez- vous. Les gens de la majorité sont des adeptes de l’école russe : Poutine-Medmedev. Ce scénario sera importé chez nous. Une fois élu, Shadary devra laisser sa place à Kabila. C’est pourquoi le FCC ne veut pas entendre parler de l’aide internationale en faveur du processus électoral. Car cela signifierait présence d’observateurs internationaux. Il le leur serait donc plus difficile de tricher pour imposer un tel scénario. Mais ces observateurs ne viendront pas. Joseph Kabila et son camp pourront donc facilement changer les résultats des élections. Car, ils le savent, ils sont tellement impopulaires qu’ils n’ont aucune chance de gagner à la régulière.