Jean-Pierre Bemba est libre. Ce soir, il a quitté La Haye pour la Belgique suite à la décision en fin d’après-midi de la chambre de première instance VII de la Cour Pénale Internationale de le placer en liberté provisoire. Une décision qui fait suite à son acquittement, le 8 juin dernier en appel devant cette même CPI, des charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis par ses miliciens en Centrafrique en 2003. Pour Joseph Kabila, qui considère Jean-Pierre Bemba comme un ennemi, le coup est d’autant plus rude qu’il nourrit de vives inquiétudes dans le camp des swahilophones, et en particulier dans le clan des Katangais, très puissant dans l’entourage du président (hors mandat) RD congolais. Explication.
Il n’y a pas que pour les 5.200 victimes centrafricaines, enregistrées auprès de la Cour Pénale Internationale de La Haye que l’annonce de l’acquittement de Jean-Pierre Bemba en appel le 9 juin dernier a fait l’effet d’une bombe. Pour Joseph Kabila, qui hésite toujours (compte tenu de l’intensité des pressions diplomatiques, notamment au sein de la sous-région) a déposé sa candidature fin juillet à l’élection présidentielle prévue le 23 décembre 2018, la décision de la CPI tombe mal.
Joseph Kabila voit en effet revenir non pas un rival, mais un « ennemi », comme il le dit lui-même, qu’il a affronté dans les urnes lors de la présidentielle de 2006 (remportée au second tour grâce à une double alliance à l’ouest avec le PALU d’Antoine Gizenga et Nzanga Mobutu, le fils de l’ancien président), avant de l’affronter militairement en 2007 dans les rues de Kinshasa (où Joseph Kabila n’a dû son salut qu’à l’intervention des troupes angolaises). Jean-Pierre Bemba, qui est d’un naturel rancunier, est convaincu que la source de ses malheurs porte un nom : celui de Joseph Kabila. « Avec Kabila, c’est la guerre à mort. Le chairman [NDLR : surnom donné par ses proches à M. Bemba] ne lui fera aucun cadeau », nous confiait il y a quelques semaines l’un de ses lieutenants. Joint par téléphone ce weekend, ce même proche, qui dénie tout sentiment « revanchard », nous confirme que « Jean-Pierre [Bemba] ne fera rien qui puisse permettre la victoire aux élections de Kabila ou de l’un de ses proches. Ce sera l’exact inverse ».
Si une éventuelle candidature du Chairman est possible en théorie, elle est cependant peu probable pour de multiples raisons. « La comparaison avec 2006 n’est pas probante », averti un professeur en science politique de l’université de Louvain en Belgique. « Depuis, la scène politique RD congolaise s’est restructurée sans Jean-Pierre Bemba et d’autres figures ont émergé. Par ailleurs, la base partisane de M. Bemba n’est pas aussi large qu’on ne le pense, surtout en comparaison avec d’autres candidats. S’il est populaire dans le nord-ouest, l’Equateur notamment, et dans une moindre mesure à Kinshasa, qui est une ville cosmopolite, ce n’est le cas ni dans le centre ni dans l’est du pays, c’est à dire là où se concentre la très grande majorité de l’électorat », explique cet universitaire.
« Si Jean-Pierre Bemba s’est hissé au second tour en 2006 [NDLR : il avait réalisé un score de 42 % face à Joseph Kabila], ça n’est pas seulement grâce à ses propres forces, mais aux alliances nouées à l’époque à l’est avec des personnalités telles que Mwando Nsimba et Lunda Bululu dans l’ex-Katanga, Thambwe Mwamba dans le Maniema, etc. ; et grâce également à un report favorable des voix du Kasaï sur son nom suite au boycott du scrutin par Etienne Tshisekedi, [il ne s’agissait pas d’un vote d’adhésion par défaut car il s’agissait plus d’un vote contre Kabila que pour Bemba] » poursuit-il avant de conclure : « pour Jean-Pierre Bemba, une configuration aussi favorable n’est plus possible aujourd’hui. D’autant que s’il se présentait, il n’aurait que six mois pour s’organiser ».
Quand bien même, dans les années 2000, l’influence politique de Jean-Pierre Bemba provenait également de sa puissance militaire (il était le chef d’une milice, qui s’apparentait à une véritable armée parallèle) et financière (il est le fils de l’ex-patron des patrons congolais sous Mobutu). Deux atouts sur lesquels il ne peut plus compter aujourd’hui. Conséquence : Jean-Pierre Bemba sait qu’il devra nouer une alliance et, si possible, avec le camp du vainqueur. Une entente avec Kabila ou ses proches étant exclue, il ne dispose en réalité que d’un choix restreint.
Plus grave pour Joseph Kabila, l’acquittement de Jean-Pierre Bemba a créé un vent de panique dans son entourage, qui est composé de nombreuses personnalités, civiles et militaires, issues de l’est du pays. Or, ces swahilophones (en particulier ceux qui sont dans l’armée) voient d’un très mauvais œil le retour de l’ex-« homme fort de l’est du pays ». Aussitôt connue la décision de la CPI, le chef de l’Etat RD congolais a reçu plusieurs appels de proches le mettant en garde contre le risque de voir le pouvoir leur échapper. Parmi ces « lanceurs d’alerte », figurent de nombreux membres du clan des Katangais, très puissant dans l’entourage de Joseph Kabila.
C’est là un autre effet de l’acquittement de Jean-Pierre Bemba devant la CPI : celui de nous rappeler collectivement que la RDC est un pays fracturé sur le plan socio-électoral entre l’est et l’ouest et que, dans ce pays continent où le réflexe régionaliste est très fort dans les urnes, une élection se gagne d’abord à l’est et au centre.