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RDC/Interview : « Le journaliste Stanis Bujakera risque jusqu’à 15 ans de prison » (Me Hervé Diakiese, son avocat)

Le journaliste Stanis Bujakera à son tour victime de la vague répressive que le régime Tshisekedi a fait abattre sur la RDC © DR

Après trois nuits en détention au commissariat provincial de la police de Kinshasa, Stanis Bujakera Tshiamala a été placé lundi 11 septembre sous mandat d’arrêt provisoire par le parquet de Kinshasa. Le directeur de publication adjoint du site d’information en ligne Actualité.cd et correspondant de Jeune Afrique et Reuters en RDC avait été interpellé vendredi 8 septembre à l’aéroport de NDjili alors qu’il devait se rendre à Lubumbashi « pour un séjour professionnel ». Nous avons demandé à l’un de ses avocats, Me Hervé Diakiese, les risques qu’il encoure. Interview.

L’arrestation du journaliste Stanis Bujakera est-elle légale ?

Il y a eu plusieurs entorses au droit. Stanis Bujakera a été interpellé sans avoir été préalablement convoqué auprès des autorités alors qu’il n’y avait aucune urgence, aucun risque de fuite. C’est comme s’il y avait une volonté délibérée de le mettre sous pression. Ensuite, il a été placé en garde à vue au-delà du délai de 48 heures (avant d’être déféré au Parquet et placé en détention provisoire, NDLR), ce qui n’est pas conforme au droit.

La procédure suivie jusqu’à présent est-elle conforme aux règles de procédure ?

C’est exagérément sévère. J’y vois un moyen de l’entraver dans sa capacité à se défendre. Il est plus simple d’organiser sa défense quand on est en liberté qu’en prison.

Que risque notre confrère ?

Si on se limite au chef d’inculpation de « propagation de faux bruit » qui lui est imputé, la peine encourue est de 6 mois à 1 an de prison. Mais si on suit la logique du Parquet qui semble vouloir l’impliquer dans la chaine d’élaboration d’un document « contrefait » aux dires des autorités (la note de l’ANR mettant en cause les services de renseignement RD Congolais dans l’assassinat de Cherubin Okende, NDLR), Stanis Bujakera risque un maximum de 15 ans.

Que révèle, fondamentalement, cette affaire au sujet de l’Etat de droit et des libertés en RDC ?

D’abord, le fait que les autorités RD Congolaises sont prêtes à réprimer tout journaliste qui livrerait des informations ne correspondant pas à la version, peu crédible, qu’elles donnent de l’assassinat de Cherubin Okende. Il y a quelques jours, un autre journaliste, Peter Tiani, avait été interpellé pour les mêmes faits. Aujourd’hui, il y a toute une catégorie de personnes dans cette profession qui sont dans le collimateur du régime parce que jugées trop indépendantes. C’est le cas de Stanis Bujakera qui, déjà en mars dernier, avait fait l’objet d’une tentative d’intimidation de la part des autorités (il avait déjà été menacé de poursuites par le ministère de la Défense pour avoir relayé un paragraphe du compte rendu du conseil des ministres publiquement distribué par le ministère de la Communication. La plainte avait finalement été retirée au bout de trois jours, NDLR). A trois mois et demi des élections, le régime se manifeste par une grande intolérance.

Félix Tshisekedi porte-t-il une part de responsabilité dans ce durcissement ?

Indéniablement. Le discours du chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, qui a déclaré, fin juin à Kananga, qu’il n’avait aucune leçon de démocratie à recevoir et qu’il ne s’embarrasserait pas de considérations liées aux droits de l’Homme, n’est pas resté lettre morte. Quelques jours après, il y a eu l’assassinat de Cherubin Okende, puis l’interpellation de journalistes, le massacre de Goma, etc.

Vous êtes aussi l’avocat de Salomon Kalonda Della, le bras droit de Moïse Katumbi. Comme d’autres (Jean-Marc Kabund, Mike Mukebayi…), il semble victime de l’arbitraire du régime. Quelle est sa situation aujourd’hui ?

Salomon Kalonda n’aurait jamais dû être arrêté. On lui a reproché la détention d’une arme qui ne lui appartenait pas (le pistolet Jericho était la propriété du garde du corps de l’ancien premier ministre, Augustin Matata Ponyo, NDLR). Puis, une fois jeté en prison, on lui a reproché d’autres choses, totalement ubuesques, comme le fait d’avoir révélé des secrets défense, ce qui est faux, alors qu’il n’est pas militaire, ni même fonctionnaire ! Il a été privé d’avocats durant dix jours. Il a fait l’objet de perquisitions illégales à son domicile et à ceux de ses parents. Sa détention est totalement arbitraire. Aujourd’hui, il n’a rien à faire devant une juridiction militaire. C’est une procédure purement politique. L’opinion congolaise et les chancelleries le savent.

Etes-vous inquiet pour la RDC à l’approche des élections, théoriquement prévues à la fin de l’année ?

Oui. Une machine répressive s’est mise en branle en RDC. Elle vise à faire taire les voix dissidentes, à écarter tous ceux qui pourraient empêcher le pouvoir actuel de faire ce qu’il a prévu : un passage en force électoral.