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RDC : Félix Tshisekedi tente de faire parrainer par quatre chefs d’Etat son accord de partage du pouvoir avec Joseph Kabila

Félix Tshisekedi le 10 février 2019 à Addis Abeba à l'occasion du 32ème sommet ordinaire de l'Union africaine © DR

Désigné président au terme d’un processus controversé, le nouveau chef de l’Etat RD congolais a approché les présidents kenyan, égyptien, tanzanien et sud-africain en vue de leur faire parrainer l’accord qu’il a passé avec son prédécesseur, Joseph Kabila. Une majorité d’entre eux hésite toutefois à franchir le pas. 

Félix Tshisekedi a été désigné président au terme de « la plus grande fraude électorale de l’histoire contemporaine africaine », a commenté ce weekend le chercheur Gérard Gerold dans La Libre Belgique (lire son interview ici). Conscient de ce manque de légitimité et soucieux de consolider sa position à la tête de l’Etat RD congolais, le nouveau président est en quête de légitimité à l’international. Après une mini-tournée l’ayant conduit en Angola, au Kenya, puis au Congo-Brazzaville et son offensive, dans la foulée, à L’Union africaine où il a obtenu le poste de 2ème vice-président à l’occasion du sommet ordinaire d’Addis Abeba début février, Félix Tshisekedi ne compte pas s’arrêter en si bon chemin.

Ses cibles ? Les Etats-Unis où il a recruté à grands frais des lobbyistes afin de plaider sa cause à Washington, comme l’a révélé la semaine dernière La Lettre du Continent. Mais également l’Union européenne. Félix Tshisekedi s’est entretenu à Addis Abeba avec la ministre des Affaires étrangères de l’UE, Federica Mogherini. Son objectif est d’organiser au plus vite, afin de profiter d’un relatif état de grâce qui pourrait ne pas durer, une tournée européenne qui commencerait par Paris. A cette fin, il compte envoyer en éclaireur une délégation avec à sa tête Kikaya Bin Karubi, l’ex-conseiller diplomatique de Joseph Kabila, qui entend conditionner l’ouverture de la Maison Schengen à Kinshasa en échange de la levée des sanctions de l’UE contre certains dignitaires du régime RD congolais.

Mais au-delà de sa personne, Félix Tshisekedi tente également de légitimer son accord noué avec Joseph Kabila à l’issue des élections du 30 décembre dernier en vue d’un partage (très inégalitaire) du pouvoir. En échange de la présidence – une institution dénuée de réels pouvoirs en l’absence de majorité parlementaire – confiée à M. Tshisekedi, Joseph Kabila et son clan ont conservé le contrôle du gouvernement, de l’assemblée nationale, du Sénat, des provinces, de l’administration, ainsi que des leviers financiers et sécuritaires. Autrement dit de tout ce qui fait le pouvoir en RDC.

Pour ce faire, M. Tshisekedi a proposé à quatre de ses pairs africains de « parrainer » l’accord passé avec son prédécesseur. Dans son esprit, ces parrainages auraient à la fois une vertu symbolique évidente mais aussi pratique. Les dirigeants concernés auraient vocation à devenir, dans les enceintes internationales et auprès des diplomates de tous bords, les meilleurs avocats d’un accord très controversé mais censé garantir la stabilité du pays et de la sous-région. Ces dirigeants feraient par ailleurs office de cautions, voire d’arbitres, en cas de tensions.

Approché le premier, le kenyan, Uhuru Kenyatta, seul président présent lors de la cérémonie d’investiture de M. Tshisekedi le 24 janvier dernier à Kinshasa, a donné son accord. « Une formalité », fanfaronne-t-on dans l’entourage de M. Tshisekedi.

Pour le reste, les choses s’annoncent plus difficiles. Le chef de l’Etat égyptien, tout nouveau président en exercice de l’UA, Abdel Fattah al-Sissi, pourtant très prompt à reconnaître « l’élection » de Félix Tshisekedi et qui a accueilli fin janvier une délégation de diplomates RD congolais (composée de proches de Joseph Kabila), a pour l’instant réservé sa réponse. Même son de cloche du côté du président tanzanien, John Magufuli. Quant au chef de l’Etat sud-africain, Cyril Ramaphosa, il a joué la montre, arguant du fait qu’un éventuel parrainage de sa part en faveur du président RD congolais devrait être soumis à l’approbation des instances dirigeantes de l’ANC. Un processus long et aléatoire.

Si certains chefs d’Etat, pourtant les moins défavorables à M. Tshisekedi, se montrent réticents à s’engager dans une telle démarche, c’est pour trois raisons au moins. Premièrement, chacun sait (et en a la preuve) que les résultats officiels de l’élection présidentielle ne correspondent pas à la réalité, loin s’en faut. Deuxièmement, ces dirigeants ont conscience que la désignation de M. Tshisekedi à la présidence, si elle a pu contenter une frange de la population, est loin de satisfaire la majorité qui, pour l’instant du moins, est restée silencieuse.

Troisièmement, les présidents sollicités en vue d’un parrainage anticipent, à un moment donné, un possible retour de bâton. « On nous a vendus l’alternance mais chacun sait que Joseph Kabila reste l’homme fort de la RDC. Il a accepté de quitter la présidence pour continuer à exercer en toute quiétude le pouvoir, c’est à dire sans apparaître en premier ligne », explique le conseiller diplomatique de l’un d’entre eux.

Dans ces conditions, beaucoup doutent de la possibilité d’un changement et redoutent même la réaction à un moment donné de la population. « Les mêmes causes risqueraient de produire les mêmes effets, sauf que cette fois-ci la déception devrait être plus importante car l’élection a malgré tout donné l’illusion d’un changement et suscité un espoir. Le réveil risque d’être brutal », prévient ce conseiller qui poursuit : « ceux qui ont accepté de cautionner cet arrangement au nom de la stabilité pourraient à ce moment-là s’en mordre les doigts ».

On comprend dès lors mieux les préventions qu’ont certains chefs d’Etat africains à parrainer cet accord de partage du pouvoir en RDC, soucieux qu’ils sont de ne pas se retrouver, à un moment donné, du mauvais côté de l’Histoire. Ne dit-on pas en politique qu’il ne faut jamais insulter l’avenir ?