Des événements dramatiques survenus récemment dans cette province de l’est de la RDC, plus particulièrement en territoire de Kalemie, Moba et Nyunzu, le laissent fortement penser.
Par Jacky Wetu, notre correspondant à Lubumbashi
Le général Philémon Yav, ancien commandant du secteur opérationnel de Fizi (dans le sud Kivu), récemment nommé commandant de la 2ème zone de défense, a annoncé la semaine dernière, sur Radio Okapi, le lancement des opérations de traque contre les groupes armés dans les territoires deKalemie, Moba et Nyunzu.
Moins de deux semaines après cette annonce, deux membres du staff congolais de l’ONG Food for the hungry (FH), en partance vers Kabwela (à 120 km au sud de Kalemie), sont morts, tués à 5 km du village Fatuma, situé à 90 km de Kalemie. Des témoins contactés à Moba et à Kalemie sont formels. « Ces pauvres gens ont été tués par des militaires des FARDC », assurent-ils.
Comme toujours, en pareilles circonstances, des enquêtes ont été annoncées. Mais à la veille de la campagne électorale, des humanitaires et des politiciens du Tanganyika s’inquiètent de la possibilité de tenir un scrutin dans de telles conditions. L’insécurité, ici, est en effet très forte.
A Kalemie, la présence de groupes armés, très actifs, dans la province est bel et bien confirmée. Quand bien même les affrontements entre Bantous et Twa ont cessé depuis plusieurs mois, cela ne signifie pas que les deux camps ont baissé la garde. Tout le monde a rangé ses armes (flèches et kalachnikovs), mais aussi les fétiches en attendant un nouvel épisode.
Or, celui-ci semble bien arrivé. Il oppose désormais les FARDC aux milices bantous de Moba et aux pygmées de Kalemie et de Nyunzu. La cible principale de l’armée RD congolaise, c’est le lieutenant colonel Mundus, un leader Twa (pygmée) qui a rallié le camp du rebelle Yakutumba depuis juillet 2016. Lors des opérations Sokola 2, conduites par le général Philémon Yav dans la plaine de Ruzizi à Uvira, les FARDC étaient parvenu à obtenir la reddition, à Bujumbura semble-t-il, d’un certain major « Dragula » alors au service de Yakutumba. Autre rebelle recherché : le chef des milices de Moba, un certain Mutono, chez qui avaient été trouvés les restes du corps du chef Kansabala tué à la mi-juin 2018.
De cet épisode, il est possible de tirer un enseignement : la menace sur le processus électoral et les atteintes à sa fiabilité proviendront en réalité davantage de l’armée et des responsable politiques, qui minimisent la situation d’insécurité généralisée qui sévit dans cette partie du Tanganyika ou qui, parfois même, tentent d’en tirer profit.
Certaines ONG présentes dans la région confirment qu’elles ont été contraintes de réduire leurs activités sur plusieurs axes du fait de la présence des groupes armés, qui commettent des braquages, des enlèvements, dont leurs staffs sont victimes. « Ce qui vient de se passer avec nos collègues de FH est très grave. C’est la première fois qu’on déplore des morts dans le milieu humanitaire dans la région. C’est une vraie rupture qui démontre la dégradation de la situation sécuritaire. L’axe Kalemie-Moba est désormais déclaré rouge, jusqu’à nouvel ordre », indique un humanitaire qui travaille depuis plusieurs années dans la région.
L’armée, selon le Colonel Alex Munyaluzi est organisée suivant trois brigades réparties entre Kalemie, Nyunzu et Pweto. Le 22ème secteur, sous son commandement, contrôle Kalemie et Moba. La 61ème brigade, dirigée par le Colonel Saleh contrôle Nyunzu et Kongolo. Et la 21ème brigade, déployée à partir de Pweto jusqu’à 40 km sur la nationale numéro 5, en direction de Moba. Trois commandements sans la moindre coordination. Une situation qui fait craindre la persistance de l’insécurité.
Mulya, un responsable politique vivant à Kalemie, s’inquiète. « Les incidents auxquels nous venons d’assister à Fatuma préfigurent ce qu’il risque de se passer durant la journée électorale du 23 décembre prochain, censée être supervisée par l’armée. Aucun observateur, aucun témoin, aucun journaliste digne de ce nom ne sera autorisé à surveiller le scrutin. Par conséquent, la CENI et le FCC profiteront probablement de cette absence de surveillance pour manipuler les résultats », prédit celui-ci.
Des craintes qui ne concernent pas que le Tanganyika mais de très larges portions du territoire de la RDC.