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RDC : « Comment Maman Marthe peut-elle laisser son fils, Félix Tshisekedi, s’en prendre brutalement à notre maman Aziza, une vieille dame de 85 ans ? » (Moïse Moni Della, frère de Salomon Kalonda Della)

Moïse Moni Della et Félix Tshisekedi échangeant une chaleureuse poignée de main en 2018 du temps où les deux hommes partageaient les mêmes combats. Depuis, comme tous ses prédécesseurs, le président RD congolais a pris goût au pouvoir... © DR

Compagnon de route d’Etienne Tshisekedi, cofondateur de l’UDPS, aujourd’hui président de la Conade, un parti politique d’opposition, Moïse Moni Della revient dans cette interview sur l’arrestation le 30 mai dernier de son frère, Salomon Idi Kalonda Della, le bras droit de Moïse Katumbi. Une arrestation, explique-t-il, ordonnée « directement et personnellement » par Félix Tshisekedi qu’il accuse d’avoir « trahi le combat » de son père pour la justice, la démocratie et l’Etat de droit.

Votre frère, Salomon Idi Kalonda Della, a été brutalement interpellé le 30 juin dernier. Il est actuellement détenu à la Demiap. Pourquoi ?

Rien de tout ça n’est légal. C’est de l’acharnement, du harcèlement. En détention, il subit un traitement inhumain dégradant. Mais cet harcèlement n’est pas nouveau. Cela fait plusieurs mois que Salomon, à chaque fois qu’il passait la frontière, était arrêté une heure ou deux, parfois trois, ses comptes ont été bloqués, son passeport a été longtemps confisqué à la Présidence qui a fini par le lui remettre. Ce n’est pas à la Présidence normalement que l’on règle cette question. Pourquoi donc un tel traitement de défaveur ? La réponse est simple : c’est parce qu’il accompagne fidèlement Moïse Katumbi qui, lui, a un vrai projet pour le Congo. Et Félix Tshisekedi, qui connait très bien Salomon, connait son efficacité, son sens de l’organisation. Pour déstabiliser Moïse Katumbi et, au-delà, fragiliser le reste de l’opposition à quelques mois de la présidentielle, il a fait arrêter Salomon.

C’est Félix Tshisekedi en personne qui a décidé de faire arrêter Salomon Kalonda ?

Oui, c’est lui qui a donné l’ordre personnellement et directement le 21 mai dernier, au lendemain de la manifestation du 20 mai. Il n’y a aucun doute à ce sujet. Tous les témoignages internes que j’ai reçus vont en ce sens. Cela faisait longtemps qu’il cherchait à le coincer (…) Mais la seule dimension politique ne suffit pas à expliquer le sort sans équivalent qui est réservé à mon frère. Il y a également une dimension personnelle dans cette affaire. Il y a deux ans, Félix Tshisekedi disait en public de Salomon : « Il est mon jeune frère, nous sommes très proches ». Que s’est-il passé depuis ? Pourquoi désormais Félix Tshisekedi voue à mon frère une telle haine. Car oui, c’est bien de la haine. Il y a quelque chose d’anormal dans cette affaire. Je laisse le président s’expliquer.

L’acharnement, dont vous parlez, de la part du président Tshisekedi à l’encontre de Salomon Kalonda Della semble s’étendre au reste de votre famille…

Le sort que l’on fait subir à Salomon, aucun autre ne l’a subi au Congo ces dernières années. Même les gens du M23 n’ont pas connu le même traitement. Car, à la Présidence, on s’en prend non seulement à lui mais aussi à toute notre famille. J’ai reçu des menaces de mort. Près d’une centaine de wewas (des taximen à moto originaires du Kasaï, utilisés par l’UDPS pour créer du désordre, NDLR), accompagnés par les Forces du progrès (la milice armée de l’UDPS, NDLR) ont tenté il y a quelques jours de s’introduire dans mon domicile. La police a mis trois heures avant d’intervenir… Hier (vendredi 9 juin, NDLR), c’est la maison de notre mère, une vieille dame de 85 ans, qui a été perquisitionné. Et désormais, c’est la maison de ma sœur que la Présidence a ordonné à la Demiap de fouiller. Il faut beaucoup de haine, et de haine personnelle, pour agir de la sorte.

Que pensez-vous des accusations de collusion, d’intelligence avec le Rwanda prêtées à Salomon Kalonda ?

C’est totalement grotesque. D’ailleurs, personne n’y croit. Les mêmes méthodes étaient en vigueur sous Mobutu et Kabila. Si quelqu’un peut être accusé de collusion avec le Rwanda, c’est bien Félix Tshisekedi. C’est lui qui a fait applaudir Paul Kagame au Stade des Martyrs lors de l’hommage rendu (en 2019, NDLR) à feu Etienne Tshisekedi, mon père et mentor politiques. C’est bien lui qui a fait venir, début 2020 des éléments du M23 à Kinshasa, qui les a fait loger à grands frais, à l’Hôtel du fleuve. A cette époque, il voulait les intégrer à la garde républicaine qu’il soupçonnait d’être acquise à Joseph Kabila. Le porte-parole du M23 l’a dit publiquement. C’est de là que remonte le conflit à l’est que nous connaissons aujourd’hui. Entre temps, Félix Tshisekedi a même tenté de faire des deals miniers avec M. Kagame comme l’a indiqué l’un de ses conseillers (Fortunat Biselele, NDLR). C’est parce qu’il a révélé ces éléments que Tshisekedi l’a fait jeter en prison.

Le pistolet Jericho que les services de renseignement ont cherché à attribuer à Salomon Kalonda, alors qu’il était la propriété du garde du corps de l’ancien premier ministre Augustin Matata Ponyo, vous fait-il craindre que l’on cherche à fabriquer un coupable ?

Cette histoire est rocambolesque. Le garde du corps d’Augustin Matata Ponyo perd son arme le jour de la tentative de sit-in de l’opposition devant la CENI à Kinshasa, le 26 juin dernier. Celui-ci a pris soin le jour même de faire une déclaration de perte. Cette arme est retrouvée par les services et quelques jours après, le 30 mai, on dit qu’on l’a retrouvée sur Salomon alors même que Salomon n’était pas là le jour du sit-in, qu’il a dû passer plusieurs contrôles à l’aéroport, qu’il a subi des fouilles. C’est surréaliste.

Et posez-vous la question : Pourquoi alors que des dizaines d’individus, sans doute plus d’une centaine, ont été filmés avec des armes à la main le 20 mai dernier (les éléments des Forces du Progrès, la milice de l’UDPS, NDLR), que ces individus ont commis des violences graves à l’encontre des manifestants, le seul que l’on a arrêté, c’est Salomon ?

Pourquoi interdit-on aux avocats d’assister aux perquisitions visant Salomon Kalonda ou sa famille ?

Même avant ça, rendez-vous compte, cela fait 12 jours que Salomon a été arrêté, et il n’a toujours pas pu voir, ne serait-ce qu’une minute, un avocat. Pour une raison simple, Félix Tshisekedi considère, comme Louis XIV le Roi de France, que l’Etat, c’est lui. Que ses désirs et ses ordres priment sur la Constitution. C’est le fait du Prince qui agit au moyen de lettres de cachet (…)

S’agissant des perquisitions, là aussi le procédé est connu. Il a été maintes fois utilisé sous Mobutu et Kabila. On met de côté toutes les personnes qui contester la version des autorités. A commencer par les avocats qui sont des officiers assermentés. Tout comme on crée des charges imaginaires pour compromettre Salomon, on cherche à inventer de fausses preuves pour le confondre. C’est comme cela qu’on agit dans les régimes dictatoriaux. Et la RDC, a bien des égards aujourd’hui, est une dictature. N’importe qui, parce qu’il ne pense pas comme le président, peut être arrêté à tout moment et n’importe comment.

S’en prendre à votre mère, Aziza, 85 ans, une ligne rouge n’a-t-elle pas été franchie ?

Jamais sous Mobutu ou Kabila nous avions vu ça. Jamais Mobutu n’a osé lever la main sur Maman Agnès (Agnès Kabena, la mère d’Etienne Tshisekedi, NDLR) qui jusqu’à sa mort a vécu paisiblement dans la commune de Ngiri Ngiri où je lui ai souvent rendu visite en compagnie d’ailleurs de Gilbert Kakonde (ancien vice-ministre premier ministre de l’Intérieur, NDLR). (…) Il y a là quelque chose d’inédit et d’effroyable dans ce qui vient de se passer. Une mère en Afrique, en particulier chez nous les Bantus, c’est sacrée. On ne doit pas, sous aucun prétexte, y toucher. Car cette mère, c’est la mère de tout le monde. Ma mère Aziza est une vielle dame. Elle a 85 ans. C’est quelqu’un de très pieux. Quelqu’un que tout le monde aime. Qui est généreuse, qui est douce, qui aime les gens. Qui n’a jamais fait de mal à personne. Elle ne connait rien de la politique. Elle ne sait rien de ce que font ses enfants. C’est quelqu’un de simple. Et c’est à elle que Félix Tshisekedi a demandé que l’on s’en prenne.

Rendez-vous compte pour la première fois, hormis les cas où elle a été malade, elle n’a pas pu se rendre à la Mosquée parce que les militaires l’en ont empêché. Félix Tshisekedi ne pouvait pas ignorer que l’opération qu’il a ordonnée tombait un vendredi, un jour saint pour nous les Musulmans. C’est d’autant plus choquant.

Mais ce qui me choque encore plus dans cette histoire, c’est le silence de Maman Marthe (la mère de Félix Tshisekedi, NDLR), pour laquelle j’ai beaucoup d’estime et de considération. Elle qui a subi les outrages, les brimades, les humiliations sous Mobutu, puis sous Kabila, comment peut-elle admettre que son propre fils s’en prenne à une Maman de 85 ans ? Idem pour son épouse Denise (Nyakeru, NDLR) ? (long silence…) C’est inconcevable (…)

Aujourd’hui, le mal est fait. Ma mère est traumatisée. Son fils est en danger. Sa maison a été saccagée. Elle-même a été bousculée, brutalisée. Je crains pour sa vie.

Vous qui avez été un compagnon d’Etienne Tshisekedi, qui avez cofondé l’UDPS à ses côtés, quel regard pensez-vous qu’il porterait aujourd’hui sur son fils Félix ?

Il lui dirait ceci : « tu as trahi mon combat. Tu n’es pas digne de porter mon nom ». Toute sa vie Etienne, paix à son âme, a lutté pour la démocratie, l’Etat de droit, contre l’oppression. Si Etienne était encore en vie aujourd’hui, il combattrait de toutes ses forces le régime de Félix comme il l’a fait avec Mobutu, puis Kabila. Avec sa disparition, l’UPDS a perdu tous ses repères moraux. Je crains que ce soit également le cas de beaucoup dans sa famille.