Sauf improbable surprise, Félix Tshisekedi devrait être déclaré large vainqueur de l’élection présidentielle en République démocratique du Congo. Une « victoire » obtenue au mépris du vote des Congolais dont il ne sera pas tenu compte comme en 2018. Seule différence par rapport à il y a cinq ans : la méthode utilisée. Voici comment le camp présidentiel, largement distancé dans les urnes, s’y est pris cette fois-ci pour s’arroger la victoire.
« Trois choses ne peuvent rester cachées bien longtemps : le soleil, la lune et la vérité ». Cet aphorisme attribué à Bouddha est souvent repris sur les réseaux sociaux en RDC, pays où l’écart entre la vérité officielle, ânonnée par les autorités, et la réalité est souvent gigantesque.
Les résultats des élections générales de décembre 2023 que la Commission électorale nationale indépendante (CENI) s’apprête à rendre publics n’échapperont pas, selon toute vraisemblance, à cette règle. Cette fois-ci encore, Félix Tshisekedi ne devrait pas avoir besoin des voix des Congolais pour être déclaré vainqueur de la présidentielle.
En 2018 déjà, l’actuel chef de l’Etat n’avait pas remporté le scrutin. C’est Martin Fayulu qui s’était imposé avec plus de 62 % des voix, selon les chiffres éventés par la mission d’observation électorale de la CENCO-ECC.
De ce point de vue, 2023 risque fort d’être la réédition de 2018. Selon les données les plus fiables collectées à ce jour, c’est l’opposant Moïse Katumbi qui aurait largement remporté cette élection présidentielle avec un score qui oscillerait entre 63 et 68 % des voix. Félix Tshisekedi, lui, ne serait pas parvenu à dépasser la barre des 20 %.
Comme il y a cinq ans, par le fait du prince, le perdant devrait donc être déclaré gagnant. La différence réside dans la méthode employée.
Machines à voter pré-programmées…
En 2018, la fraude avait eu lieu a posteriori, après le vote des Congolais. Concrètement, les urnes avaient été « bourrées » au moment de la centralisation des voix à Kinshasa, ce qui avait malgré tout permis à la CENCO (l’Eglise catholique) et l’ECC (l’Eglise protestante) de collecter les « vrais » PV sortis des urnes et d’obtenir un résultat consolidé crédible à l’échelle nationale.
C’est cet obstacle que le pouvoir a cherché à tout prix à contourner. La mission conjointe de la CENCO-ECC étant considérée – tant en RDC qu’à l’extérieur – comme le véritable juge de paix de ces élections, il était important de la neutraliser. Comment ? En fraudant non a posteriori comme en 2018, mais a priori grâce à l’utilisation à très grande échelle de machines à voter pré-programmées. C’est ce qu’indiquent clairement deux pré-rapports, particulièrement bien renseignés, remis à plusieurs services diplomatiques. Celles-ci sont venues s’ajouter aux machines distribuées aux candidats de l’USN que ceux-ci ont installés à leur domicile et dont les médias et les réseaux sociaux se sont déjà largement fait l’écho.
Concrètement, ces machines à voter n’étaient pas vierges de données au moment de leur installation dans les bureaux de vote. Elles auraient dû, en théorie, être réinitialisées avant le vote. Mais ça n’a pas été le cas. Ces machines comportaient donc déjà un nombre substantiel de voix en faveur des candidats de l’USN. Les deux pré-rapports avancent le chiffre stratosphérique de… 70 %. Ce qui signifie que ces machines ont été pré-programmées pour attribuer automatiquement 70 % des suffrages exprimés aux candidats de la majorité présidentielle. Le reste, 30 %, a été réparti entre tous les candidats, conformément à la réalité du vote. Lors des différents scrutins, les candidats de l’USN ont donc bénéficié d’emblée de 70 % des voix, puis d’une fraction des 30 % correspondant à leurs résultats réellement obtenus dans les urnes.
C’est ainsi que la CENI en vient, dans les résultats provisoires qu’elle égraine, à annoncer des chiffres de type soviétique en faveur de Félix Tshisekedi et de sa famille politique sans se soucier de leur caractère réaliste. « En RDC, le vote est encore largement sociologique, régional. Tout n’est pas homogène. Il y a de fortes disparités d’un territoire à l’autre. Comment, dans ces conditions, expliquer, par exemple, qu’à Beni territoire et à Beni ville Félix Tshisekedi à l’est, un Kasaïen, enregistre un score de 91 %, alors même qu’il a échoué dans la guerre face au M23 ? C’est tout simplement impossible », avance un universitaire en Belgique.
« Le même raisonnement peut être fait à l’échelle de tout le Nord-Kivu et partout à l’est. Mais aussi à l’ouest. Dans le Kwilu et le Bandundu, M. Tshisekedi, dont la base électorale naturelle se situe dans le centre du pays, est gratifié de scores énormes, de l’ordre de 89 % à 90 %, alors que ce sont des territoires sociologiquement favorables à Martin Fayulu ou Adolphe Muzito. Ici aussi, ça n’est tout simplement pas réaliste », relève-t-il. Au passage, ce professeur souligne que, « dans tous les cas, à l’est comme à l’ouest, selon ces chiffres officiels, Moïse Katumbi arrive second derrière Félix Tshisekedi, ce qui signifie que, dans les faits, il a probablement remporté partout et haut-la-main cette présidentielle ».
… pour contourner la CENCO et l’ECC
Après avoir pré-programmé les machines à voter, ne restait plus, pour tenter de rendre l’entourloupe présentable, qu’à s’assurer d’un faible taux de participation, ce à quoi les autorités se sont employées par divers moyens (retard, report, annulation…). Et avec succès : ce taux ne devrait pas, en réalité, dépasser les 30-35 %.
Au final, ce stratagème, utilisé à une échelle industrielle, explique que, dans certains bureaux de vote où la participation réelle a été forte, le taux de participation affiché sur les PV excède largement les 100 %… Mais peu importe, pour le pouvoir, la méthode utilisée présente un énorme avantage : celui de rendre impossible la collecte de PV non-pollués bureaux de vote par bureaux de vote par la mission d’observation conjointe de la CENCO-ECC et, par conséquent, de la mettre dans l’impossibilité formelle, contrairement à 2018, de désigner le véritable vainqueur de ce scrutin.
C’est à cette aune qu’il faut comprendre les propos ce lundi 24 décembre du Cardinal Ambongo, l’archevêque de Kinshasa, qui a évoqué « un gigantesque désordre… organisé, planifié » avant, peut-être, d’en dire davantage. Tel le soleil à travers les nuages, la vérité finit toujours par percer.