Pour Joseph Kabila, tout est bon pour tenter d’affaiblir Moïse Katumbi, qu’il considère comme son seul véritable concurrent. Exil forcé à l’extérieur du pays, harcèlement judiciaire et désormais affaires financières. En témoigne les « manœuvres » autour de Mining Company Katanga (MCK), la société créée par l’ex-gouverneur du Katanga, vendue en 2015 à Necotrans. Une affaire dans laquelle Joseph Kabila et son entourage font tout pour que Moïse Katumbi ne recouvre pas le produit de la vente. Explication.
(reportage réalisé à Lubumbashi et à Kolwezi)
Ce qu’il convient désormais d’appeler « l’affaire MCK » (du nom de Mining Company Katanga) démontre deux choses. Tout d’abord, l’obsession de Joseph Kabila d’écarter, par tout moyen et quoi qu’il en coûte, de la course à la présidentielle celui qu’il perçoit comme son seul rival dangereux, pour lui et pour son régime : Moïse Katumbi. Ensuite, la multiplication des affaires politico-financières (après l’affaire BGFI, Panama papers, Bukanga Lonzo, passeports gate, etc.) qui illustre, si besoin en était encore, le degré élevé de corruption du régime de Joseph Kabila qui, au fil du temps, a transformé la RDC en une authentique kleptocratie.
« L’affaire MCK » débute il y a trois ans. En 2015, Moïse Katumbi, qui souhaite se lancer dans la course à l’élection présidentielle en RDC, vend la société MCK, qu’il a fondé en 1997, à travers la société Astalia Investment Ltd, gérée par son épouse Carine, détentrice de 85 % des actions de MCK, à Necotrans Mining, société de droit mauricien, alors propriété du français Necotrans Holding spécialisé dans la logistique internationale, pour un montant de 120 millions de dollars. Selon les termes du contrat, 20 millions de dollars sont payés comptant, c’est à dire le jour de la vente, le reste (soit 120 millions de dollars) devant l’être suivant un échéancier étalé sur trois ans (de novembre 2015 à novembre 2018 avec une charge d’intérêt de 3 % la première année, 7 % la deuxième et 12 % la troisième année). Une somme à laquelle il faut retrancher 5 millions de dollars pour « frais de fonctionnement ».
A l’époque, MCK, est une véritable institution dans l’ex-province cuprifère du Katanga, démantelée depuis en quatre petites provinces. La société, spécialisée dans la découverture et l’évacuation de minerai des mines de cuivre et cobalt dans les provinces du Lualaba et du Haut-Katanga, emploie 2000 personnes et est propriétaire d’une flotte importante d’engins et de camions.
Aussitôt la vente conclue, Necotrans confie la gestion de cette acquisition en RDC à Pascal Beveraggi. Cet homme de 52 ans est le fils de Paul Beveraggi, un entrepreneur de l’Île-Rousse, vice-président de la fédération du bâtiment de Haute-Corse. En mai 2017, Médiapart lui consacre un article dans le cadre des révélations du « Malta Files » et évoque « des montages offshore opérés afin d’abriter la propriété d’un yacht de luxe au cœur de litiges avec les douanes. » Dans ce même article, Pascal Beveraggi, présenté comme un « homme d’affaires multicartes » est dépeint par l’un de ses concurrents comme « un beau gosse, flambeur, qui débarquait sur les chantiers en Porsche et en manteau de fourrure ».
Très rapidement, le nom de MCK disparait. L’entreprise, presqu’aussi populaire que son fondateur dans l’ex-Katanga, est renommée NB Mining. Quelques semaines plus tard, en juillet 2016, Moïse Katumbi, victime d’une agression à la seringue de la part d’un policier casqué alors qu’il se rend à l’audience de son procès devant le tribunal de Lubumbashi est contraint de prendre un avion médicalisé en direction de l’Afrique du Sud. Depuis, M. Katumbi n’a pu retourner en RDC, contraint par le régime de Kinshasa à un exil forcé en Europe.
En l’absence du fondateur de MCK, Pascal Beveraggi multiplie les contacts politiques avec le régime de Kinshasa. Il se rapproche du général François Olenga. L’homme d’affaire et l’officier millionnaire sont, semble-t-il, sur la même longueur d’onde. A tel point que le portrait du général est installé dans le hall d’entrée du siège de NB Mining.
C’est alors que l’entourage de Joseph Kabila s’intéresse de près à ce dossier. Les uns pour des raisons financières, les autres pour des raisons politiques. Très vite, on explique à Joseph Kabila l’intérêt que revêt un tel dossier. Pour le convaincre, on lui explique qu’il sera fait en sorte, d’un point de vue comptable et financier, que Moïse Katumbi ne retrouve jamais ses billes. Joseph Kabila est conquis. C’est Kikaya Bin Karubi, son conseiller diplomatique, qui se chargera de lui présenter Pascal Beveraggi.
Pour que Moïse Katumbi ne perçoive pas les 120 millions de dollars qui lui reviennent, il faut placer la société NB Mining dans l’incapacité de s’acquitter d’une telle somme. Or, l’entreprise, qui a conservé ses marchés, est encore profitable. Du coup, la trésorerie de l’entreprise est siphonnée. L’argent détourné est transféré à Dubaï où les comptes bancaires appartenant aux proches de Joseph Kabila sont crédités en toute discrétion. La société ne s’acquitte plus ni des taxes, ni des impôts dont elle est redevable. A ce jour, « NB Mining doit à l’Etat congolais plusieurs millions de dollars au titre de la TVA, sans compter les autres taxes et impôts », indique un fonctionnaire de la Direction Générale des Impôts. Le siphonage de la trésorerie entraîne, en outre, l’arrêt des investissements dans le renouvellement de l’outil de production, indispensable à la bonne marche de l’entreprise. Résultat : l’actif de l’entreprise, fort de 600 engins de chantier et évalué à 300 millions de dollars en 2015, fond comme neige au soleil. La société n’a ainsi plus la capacité financière de fonctionner.
Cette situation aggrave les difficultés financières de la société mère Necotrans. En 2017, proche de la faillite, celle-ci est placée en redressement judiciaire. Sa filiale congolaise NB Mining, ex-MCK, subit le même sort. Astalia investment Ltd appartenant à Moïse Katumbi bénéficie d’un droit de préemption pour le rachat des parts de l’ex-MCK. Mais, coup de théâtre, le 25 août 2017, le tribunal de commerce de Paris passe outre ce droit de préemption et ordonne la cession des titres de la société Necotrans Mining au profit de… Pascal Beveraggi et sa société Octavia. L’ex-MCK, rebaptisée NB Mining, qui valait 120 millions d’euros en 2015 est cédée pour une bouchée de pain, à peine un million de dollars.
C’est alors que Moïse Katumbi décide d’attaquer cette décision. Quelques jours plus tard, Astalia investment Ltd et Padang Trust Singapore Pte Ltd, du Sud-Africain Kenneth McLeod, associé de Moïse Katumbi lors de la création de MCK en 1997, interjettent appel. Le 15 mai 2018, la cour d’appel de Paris, à travers deux arrêts, annule la cession de 85 % des actions de Necotrans Mining au profit de Pascal Beveraggi et confirme le droit de préemption d’Astalia investment Ltd sur les parts de NB Mining.
Le jugement étant immédiatement exécutoire, le seul moyen dont dispose Joseph Kabila et son entourage pour parvenir à leurs fins est de dépecer la société, de sorte que Moïse Katumbi ne retrouve, au terme de cette procédure judiciaire, qu’une coquille vide à l’actif totalement expurgé et criblée de dettes (fiscales, sociales, fournisseurs, etc.). Selon différents témoignages recueillis sur place, c’est cette stratégie qui serait actuellement à l’œuvre.
L’argent, c’est le nerf de la guerre. Surtout en période électorale. Après avoir tenté de l’affaiblir politiquement en l’exilant, après avoir recouru à la Justice pour bloquer sa candidature à l’élection présidentielle, Joseph Kabila pense affaiblir Moïse Katumbi en le privant des moyens nécessaires pour lui permettre de battre campagne. Mais sur ce plan comme sur d’autres, le dernier gouverneur de l’ex-Katanga a sans doute plus d’un tour dans son sac.