Organisée le 18 janvier dernier à Lubumbashi, la marche pacifique (autorisée puis interdite à la dernière minute) en faveur de la libération du pasteur Daniel Ngoy Mulunda, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) et proche de l’ancien président Joseph Kabila, a été violemment réprimée (via notamment des tirs à balles réelles). Bilan : une cinquantaine de blessés dont 14 seraient dans un état grave et dix manifestants interpellés, selon les organisateurs. Pourquoi cette marche a-t-elle été réprimée et surtout qui en a réellement donné l’ordre ? Voici les réponses.
Six jours après la répression de cette marche, lundi 24 janvier, le vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, Aselo Okito, a suspendu le maire de la ville de Lubumbashi (Haut-Katanga), Ghislain Robert, qu’il accuse d’avoir « entretenu la confusion » autour de la marche organisée il y a quinze jours pour exiger la libération du Daniel Ngoy Mulunda, ancien président de la CENI, détenu depuis une année à la prison de Kasapa (celui-ci a été condamné à trois ans de prison pour des messages qualifiés de « séparatistes » lors d’un culte dans la ville de Lubumbashi, ce que conteste vigoureusement ses défenseurs).
Le maire avait autorisé la tenue de la marche avant de se raviser le lendemain au moment où les manifestants étaient déjà dans la rue. A en croire le ministre de l’Intérieur, cette situation « a créé des difficultés aux forces de défense et de sécurité pour assurer l’ordre ».
En réalité, le maire de Lubumbashi semble n’être qu’un lampiste à qui l’on chercherait de faire porter le chapeau. Si celui-ci a bien de son propre chef autorisé au préalable la manifestation, c’est contraint (« sous pression », comme le dit l’un de ses collaborateurs) qu’il est tardivement revenu sur sa décision.
Mais Kyabula n’a pas agi de sa propre initiative. Constatant l’ampleur de la manifestation en préparation, inquiet, Dany Banza, l’ambassadeur itinérant de Félix Tshisekedi, appelle le gouverneur et lui intime l’ordre d’interdire et, au besoin, réprimer la marche prévue le lendemain matin, comme l’ont confirmé deux proches du gouverneur.
Pourquoi ? Banza, qui se fait appeler « le Monsieur Katanga de Félix Tshisekedi », ne pouvait, pour son crédit politique, souffrir les images d’une manifestation de masse lors de laquelle des slogans hostiles au président de la République n’auraient pas manqué d’être scandés.
Or, sur le plan politique, Banza ne pèse rien ou presque. Il bénéficie simplement du fait que dans l’entourage de Félix Tshisekedi, où les Lubas du Kasaï sont surreprésentés, les Katangais ne se bousculent pas au portillon. « Banza au Katanga, c’est un peu ‘au royaume des aveugles, les borgnes sont rois' », ironise un ministre provincial.
Reste donc à Banza comme seules cartes le fait de montrer qu’il « maîtrise » la province sur le plan sécuritaire (d’où son intervention pour empêcher la tenue de la manifestation) et économique. Sur ce dernier plan, Banza se montre particulièrement zélé. Il a entrepris ces derniers mois de « rançonner » les groupes miniers actifs dans l’ex-Katanga, pour reprendre les termes d’un dirigeant d’une de ces sociétés, afin de récolter le maximum d’argent pour financer la future campagne présidentielle de Félix Tshisekedi. « C’est clairement de l’extorsion de fonds et du trafic d’influence », se plaint un dirigeant du secteur, présent depuis une vingtaine d’années dans la province.
Pour être crédible à ses yeux comme à ceux de ses collègues et les inciter à bourse délier, sans doute Banza a-t-il pensé qu’il ne pouvait laisser se déployer une manifestation hostile à Tshisekedi à Lubumbashi, lui qui se targue, auprès du président comme de tous ceux qui veulent l’entendre, de « maîtriser » le Katanga.