La première année au pourvoir de Félix Tshisekedi, débutée le 24 janvier 2019, a été marquée par des assassinats, des menaces, des agressions et des arrestations des journalistes, ainsi que par des fermetures de médias selon un rapport très documenté de l’organisation Journaliste en danger (JED).
Par Pacheco Kavundama, notre correspondant à l’est de la RDC.
Alors que le Président Félix Tshisekedi célèbre ce vendredi 24 janvier 2020, l’an 1 de son accession au pouvoir. Journaliste en danger (JED) dresse un bilan de la liberté de la presse en RD Congo. Dans un Rapport de monitoring intitulé : « Le bilan inquiétant de Tshisekedi sur la presse », JED a documenté près d’une centaine de cas d’attaques diverses contre les journalistes et médias dont le cas d’un journaliste assassiné au Nord-ouest du pays. Dans ces régions orientales de la RDC, journalistes et médias vivent dans un climat général de terreur entretenu par des groupes armés, y compris des éléments des forces armées de la RD Congo.
Dans ce rapport, JED fustige les promesses non tenues du nouveau Président et de son gouvernement qui n’ont rien fait pour rendre plus sûr l’exercice de la liberté de la presse, alors que le Président Tshisekedi s’était engagé précisément à « promouvoir la presse et les médias pour en faire véritablement un quatrième pouvoir », et à sensibiliser les forces de sécurité sur le respect de la presse et du travail des journalistes.
« En RD Congo, l’année 2019 qui se termine, aura été l’année de toutes les promesses et de tous les espoirs. Et pour cause : Une alternance politique et pacifique de pouvoir ; l’arrivée d’un nouveau Chef de l’Etat, son discours de changement et la volonté exprimée par le nouveau Président de la République dès son discours d’investiture de faire des médias « véritablement un quatrième pouvoir » ; sa présence physique pour « honorer » les professionnels des médias à la célébration de la journée mondiale de la liberté de la presse, le 03 mai… étaient autant des signaux encourageants et annonciateurs d’une nouvelle ère de la liberté de la presse, et d’une rupture avec les pratiques prédatrices connues sous l’ancien régime de son prédécesseur, de Joseph Kabila », peut-on lire dans ce rapport sur la situation de la liberté de la presse après les années de pouvoir Joseph Kabila.
JED constate qu’aucune action d’envergure n’a été prise, ni sur le plan politique, ni sur le plan judiciaire, ni sur le plan sécuritaire, pour rendre plus sûr l’exercice du métier de journaliste. Bien au contraire : Fermetures des médias, interdictions des émissions, menaces, agressions, procédures de flagrances, emprisonnements des journalistes… étaient, au minimum, révélateurs des fausses promesses, et de l’ambigüité du discours des nouvelles autorités sur la liberté de la presse.
Depuis la prise de pouvoir par le nouveau Président, en terme de statistiques, JED a déjà recensé un total de 91 cas d’attaques ou d’atteintes à la liberté de la presse, qui se repartissent de la manière suivante :
· 1 journaliste a été assassiné dans la province de l’Ituri. Il s’agit de Papy Mahamba Mumbere, journaliste de la Radio Communautaire de Lwemba tué, le samedi 2 novembre 2019, dans des circonstances non encore clairement élucidées à ce jour;
· 41 professionnels des médias ont été soit menacés soit agressés dans l’exercice de leur profession en toute impunité ;
· 35 cas d’entraves à la libre circulation de l’information ou censures ont été imposés aux médias et aux journalistes ;
· 14 journalistes ont été détenus ou interpellés dans divers services de l’Etat pendant des périodes plus ou moins longues dont un journaliste qui totalise à présent près de deux mois de détention en prison. Il s’agit de Junior Supa, journaliste-technicien de la Radio Liberté Buta placé en détention illégale, depuis le jeudi 28 novembre 2019, à la prison centrale de Buta pour « outrage à l’autorité publique.
« Lors d’une audience avec le Président Félix Tshisekedi à Paris, le 12 novembre 2019, et afin de faire face à la multiplication des cas d’attaques et d’arrestations des journalistes, RSF et JED ont plaidé pour la mise en place dans un bref délai, d’un réseau des points focaux dans les différentes administrations et ministères concernés par la liberté de la presse, première étape d’un mécanisme visant à assurer une réponse rapide et un suivi des plus hautes autorités pour renforcer la protection et la sécurité des journalistes et lutter contre l’impunité. Au cours de ces échanges, le chef de l’État congolais s’est également montré favorable à la mise en place d’un moratoire sur les détentions préventives des journalistes poursuivis dans l’exercice de leur fonction, en attendant l’aboutissement du processus de la dépénalisation des délits de presse », a rappelé JED dans ce rapport.
Les conséquences des promesses non tenues par le nouveau pouvoir sont à la base de près d’une centaine de cas d’atteintes diverses et d’attaques contre les journalistes et contre les médias enregistrées par JED à Kinshasa et sur l’ensemble du pays. Parmi lesquelles, on peut citer, à titre illustratif :
– L’assassinat de Papy Mahamba Mumbere, journaliste de la Radio Communautaire de Lwemba, située dans la province de l’Ituri, au nord-est de la RDC, le samedi 2 novembre 2019, à son domicile après qu’il ait animé une émission sur la riposte contre l’épidémie d’Ebola. Sa maison a été également incendiée. Aucune enquête pour connaitre le mobile ou les auteurs de ce crime n’a été menée.
– La fermeture à Kinshasa, pendant plus d’un mois, d’un média de l’opposition, la Radiotélévision par Satellite (RTV1), appartenant à M. Adolphe Muzito, un des leaders de la coalition de l’opposition « Lamuka » qui conteste l’élection de Tshisekedi à la présidence de la République. Aucun motif officiel n’a été annoncé pour justifier la coupure du signal d’émission de cette chaîne.
– La fermeture, jusqu’à ce jour de la « Radio Liberté Buta » émettant dans la province de Bas- Uele (Nord – est de la RD Congo). Cette station proche du Mouvement de Libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, un des leaders de l’opposition, a été attaquée dans la nuit du jeudi 28 novembre 2019 vers 22 heures, par des éléments du Groupe Mobile d’Intervention de la Police Nationale Congolaise dans le but de procéder à l’arrestation de M. Gilbert Monkoto, Vice-Président de l’Assemblée provinciale de Bas-Uele qui intervenait dans une émission consacrée, notamment à la gestion de l’Assemblée provinciale de Bas-Uele.
– La Radio Communautaire de Lwemba émettant dans le territoire de Mambassa, ainsi que d’autres médias émettant dans cette localité, ont décidé d’arrêter leurs émissions, et tous les journalistes ont pris la fuite pour éviter de subir le même sort que leur collègue assassiné. Selon Reporters sans frontières, plusieurs actes de menaces et d’intimidations, visant des journalistes ou des médias qui relaient les messages de préventions pour éviter la propagation de l’épidémie ou qui abordent les moyens de la riposte dans leurs émissions ont été enregistrés.
– L’interdiction de diffusion des émissions à caractère politique dans tous les médias émettant dans la province de l’Equateur. Cette mesure a été prise, le 27 décembre 2019, par le ministre provincial de l’Intérieur et Sécurité qui reproche aux médias de l’Équateur : « le manque de respect de la déontologie journalistique et de professionnalisme,… ». Pour JED qui dénonce cet acte arbitraire, ce ministre n’a ni qualité ni compétence pour juger du contenu des émissions des médias.
A l’aube de cette nouvelle année, et alors que Félix Tshisekedi a décrété l’année 2020, comme étant l’année de l’action, JED recommande aux nouvelles autorités de la RDC les actions prioritaires suivantes :Réformer sans délai, le cadre légal répressif actuel, à savoir, la Loi N°002 du 22 juin 1996, portant modalités de l’exercice de la liberté de la presse, en consacrant la dépénalisation des délits de presse afin que les journalistes puissent exercer sereinement et librement leur indispensable rôle de quatrième pouvoir ; doter la RDC d’une Loi d’accès à l’information qui fera obligation à tous les mandataires publics de publier toutes les informations d’intérêt général, non couvertes par le secret, pour des raisons de sécurité nationale ;mettre fin aux arrestations des journalistes et aux suspensions arbitraires des médias en confiant à un organe de régulation indépendant l’exclusivité des prérogatives de sanctions et en sensibilisant les forces de sécurité et acteurs du monde judiciaire aux droits et devoirs des journalistes ,mettre en place un mécanisme national de protection des journalistes doté des moyens et des relais dans les différentes institutions afin que les exactions commises contre les professionnels du secteur ne restent pas impunies ; mettre fin à l’impunité des crimes commis contre les journalistes en relançant les enquêtes sur les journalistes assassinés pendant et après la période de l’ancien régime.