Jeudi 3 mars, le premier ministre Sama Lukonde s’est rajouté à la dernière à une conférence de presse organisée par la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) au cours de laquelle la visite du Pape François en RDC du 2 au 5 juillet prochain a été annoncée. Manière pour les autorités congolaises de tirer vers elle la couverture. La visite du Pape est en effet présenté par les dirigeants congolais comme un « succès diplomatique » personnel du président Tshisekedi. Cette visite, la première d’un pape depuis 37 ans, est pour lui pourtant à double tranchant. Explications.
C’est de bonne guerre.
En RDC, la visite du Pape prévue en juillet prochain a tôt fait d’être présentée par le pouvoir comme un « succès diplomatique ». La communication officielle insiste d’ailleurs beaucoup ces dernières heures sur un élément : le fait que le Pape Français aurait « positivement répondu à l’invitation du président Tshisekedi ».
La réalité est quelque peu différente. « Le Pape est âgé. Il est aussi affaibli par la maladie. Il sera bientôt contraint d’arrêter ses déplacements à l’international. Or, la RDC est l’un des pays qui compte le plus de catholiques au monde. Il était impensable pour le Pape de se rendre pour la troisième fois en Afrique (le souverain pontife se rendra également à cette occasion au Soudan du Sud, NDLR) sans venir en RDC même si la situation politique n’y est pas optimale », explique un journaliste de Vatican News.
« Si le Pape choisit de se rendre en RDC, c’est parce que le peuple souffre et qu’il a besoin d’espérance », justifie de son côté un proche collaborateur du Nonce apostolique. Un propos qui, en creux, pointe du doigt l’échec de Félix Tshisekedi à la tête de la RDC depuis plus de trois ans. Sur le plan social et économique, les réformes sont quasi-inexistantes. Quant à la situation sécuritaire et humanitaire à l’est, déjà catastrophique, elle s’est encore dégradée depuis l’arrivée au pouvoir de M. Tshisekedi malgré l’état de siège décrété dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu.
Dans son communiqué annonçant la venue du Pape daté du jeudi 3 mars, la CENCO ne dit pas autre chose. « Le Pape vient (…) raviver l’espérance du peuple congolais qui a besoin de la paix, de la sécurité et du bien-être ». Une manière pour l’Eglise de critiquer indirectement mais non moins fermement le bilan de Félix Tshisekedi.
Choisir entre la venue du Pape et la modification de la Constitution
Mais il y a peut-être plus gênant pour le président RD congolais. La venue du Pape interviendra à l’issue d’une importante session parlementaire qui doit se tenir de mars à juin au cours de laquelle d’importantes réformes électorales devraient être discutées et votées. Or, des partisans de M. Tshisekedi, au premier rang desquels le « constitutionnaliste » André Mbata, entendent profiter de cette fenêtre de tir et d’un Parlement godillot dominé par l’Union sacré à la botte du chef de l’Etat pour faire passer une ambitieuse réforme constitutionnelle dont le but, in fine, serait de permettre à M. Tshiskedi d’effectuer non pas deux mandats au maximum comme l’impose actuellement la Constitution, mais trois à la suite. Un stratagème largement usité en Afrique ces dernières années : au Sénégal par Macky Sall, en Côte d’Ivoire par Alassane Ouattara ou encore au Rwanda par Paul Kagame.
Or, si une telle réforme, qui aboutirait à un changement de République (puisqu’il s’agirait de passer d’un régime semi-présidentiel à un régime présidentiel), était adoptée à l’issue de cette session parlementaire, des troubles ne manqueraient pas d’éclater, en particulier à Kinshasa, la capitale, et à Goma, la ville rebelle, là précisément où le Pape François a prévu de se rendre, poussant ainsi le Vatican selon toutes probabilités à annuler la visite pontificale. Or, l’annulation de la visite du Pape – qui s’ajouterait à celle récemment du Roi Philippe – « peu à l’aise avec la tournure des événements politiques à Kinshasa », pour reprendre les termes d’un ministre belge – aurait un effet dévastateur pour l’image de Félix Tshisekedi qui a déjà beaucoup pâli à l’international.
Entre son projet de modification de la Constitution et la venue du Pape en RDC, Félix Tshisekedi va devoir choisir.