Suite à son interpellation et à son audition mercredi à son arrivée à l’aéroport de Ndjili/Kinshasa, l’ex-AG de l’ANR, intouchable sous Joseph Kabila, a fait l’objet d’une mesure d’interdiction de sortie du territoire prise par la Direction des migrations. L’un des nombreux gages apportés par le chef de l’Etat RD congolais aux Etats-Unis qui exigent une rupture plus franche avec l’ex-chef de l’Etat Joseph Kabila. Pas sûr toutefois que ces mesures, perçues comme cosmétiques, suffisent.
La note de la DGM est datée du jeudi 13 février. « Sur ordre de la hierarchie, M. Kalev Mutond, ancien administrateur général de l’ANR, est interdit de sortie du territoire national », indique le document dont nous avons vérifié l’authenticité par le biais de plusieurs sources. L’interdiction est valable pour toutes frontières, qu’elles soient aériennes, terrestres ou maritimes. Pour s’assurer de sa mise en oeuvre effective, l’ensemble des documents de voyage en possession de l’intéressé (passeports normaux, passeports diplomatiques, visas) lui ont été confisqués.
Cette décision a été prise le lendemain de l’interpellation à l’aéroport international de Ndjili/Kinshasa de l’ex-patron de l’ANR. Contrairement à ce que l’intéressé – connu pour son rapport distant à la vérité – à lui-même déclaré à certains médias (il évoqué une « visite de courtoisie à ses anciens collègues »), il a bel et bien été interpellé et auditionné par les services de la direction qu’il a longtemps dirigé et n’a été relâché que plusieurs heures plus tard, dans la soirée. S’il a pu répondre à certains journalistes dans le courant de l’après-midi, leur affirmant à ce moment-là qu’il était libre de ses mouvements, c’est parce qu’il se trouvait dans un salon d’attente, muni de ses téléphones qui lui ont par la suite été retirés.
L’interpellation de ce pilier du régime de Joseph Kabila, hier intouchable, intervient au moment où la pression des Etats-Unis s’accentue sur les épaules du président Félix Tshisekedi. Washington commence à s’agacer de ce qu’elle perçoit comme un double jeu de la part du chef de l’Etat RD congolais qui ne s’est pas à ce jour, semble-t-il, résolu à rompre son alliance avec Joseph Kabila. C’est la raison pour laquelle le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, a changé son itinéraire pour sa première tournée africaine, préférant finalement se rendre à Luanda en Angola plutôt qu’à Kinshasa. Cette semaine, Peter Phan, le représentant spécial des Etats-Unis dans les grands lacs, s’est entretenu, en guise de compensation, avec, le président RD congolais. Si le discours officiel a été relativement policé, en privé, les propos ont été plus directs. Autant la diplomatie américaine loue les efforts de Luanda pour lutter contre la corruption et récupérer les biens de l’Etat accaparés par la famille de l’ex-président Dos Santos, autant elle se dit déçue par Félix Tshisekedi qui fait preuve sur ce dossier, le mot est faible, de pusillanimité.
Tenter de plaire aux Etats-Unis
M. Tshisekedi, qui a impérativement besoin du soutien de Washington, tant sur le plan diplomatique qu’économique, a bien compris le message. Ces dernières semaines, il a tenté de donner des gages de bonne volonté à la puissance américaine, qui a accepté de cautionner son élection contestée en décembre 2018 en contrepartie de son engagement à « dékabiliser » la RDC. La semaine dernière, le chef de l’Etat RD congolais a enfin procédé à la nomination de nouveaux magistrats alors que le dossier était prêt, sur son bureau, dès septembre 2019 et qu’il est considéré comme crucial dans la lutte contre la corruption (une exigence majeure de Washington et du FMI). Une semaine auparavant, le 30 janvier dernier précisément, la députée Jaynet Kabila, sœur jumelle de Joseph, a été contrôlée et interrogée par des agents de la DGM. Motif : elle avait refusé de se conformer aux formalités d’usage. Et pour cause, dans ses valises, de très fortes sommes d’argent en espèces avaient été placées. Cette semaine, l’interpellation de Kalev Mutond, pilier de la Kabilie, est un nouveau signal envoyé aux Américains de la part de Félix Tshisekedi pour tenter de lui montrer ses bonnes intentions. Mais plus d’un an après l’investiture controversée de ce dernier à la tête de l’Etat RD congolais, l’administration américaine ne se contente plus de promesses. Elle veut des résultats.
Félix Tshisekedi est prévenu. Entre son alliance avec Joseph Kabila et le soutien des Etats-Unis, il devra choisir. La posture qu’il a adopté depuis janvier 2019, celle de l’âne de Buridan, qui consiste à tenter de plaire aux Américains sans déplaire à l’ex-chef de l’Etat par la grâce duquel il a été installé au pouvoir, est de moins en moins tenable.