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Le FCC prétexte un complot contre Shadary, le dauphin de Kabila, pour reporter sa venue à Lubumbashi

Emmanuel Ramazani Shadary, le dauphin de Joseph Kabila, n'est semble-t-il pas le bienvenu à Lubumbashi © ERS – Twitter

Annoncé à Lubumbashi jeudi 22 novembre, le candidat du Front Commun pour le Congo (FCC) ne s’est finalement pas rendu dans le chef-lieu du Haut-Katanga. Pour justifier cet ajournement, la plate-forme électorale de la majorité a argué rien de moins qu’un « complot visant à assassiner » le candidat du pouvoir. Une accusation jugée « grotesque » par l’opposition. Reportage sur place.

Par Jacky Wetu, notre correspondant à Lubumbashi.

Timide début de campagne

Ce jeudi 22 novembre ou presque, la RDC se réveille presque normalement. Sauf qu’aujourd’hui, les esprits sont préoccupés par autre chose que par les habituelles urgences du quotidien. C’est aujourd’hui officiellement que débute la campagne électorale. Ici, l’écrasante majorité de la population aspire au changement, à l’alternance. 17 années de pouvoir de Joseph Kabila ont rendu l’économie atone. L’argent ne circule plus, entend-t-on dans les rues de L’shi.

Mais l’engouement cède le pas au doute. L’effervescence qui accompagne traditionnellement les débuts de campagne n’est pas au rendez-vous. Comme si beaucoup, y compris les candidats eux-mêmes, ne croyaient pas à la tenue de ces élections prévues le 23 décembre prochain.

Jusqu’à onze heures ce jeudi 22 novembre, rien n’indique que la campagne électorale a débuté. Comme à l’accoutumée, les magasins sont ouverts. Ils attendent de rares clients. La crise économique et financière est palpable dans cette province de l’est du Congo. L’ambiance est morose. Ce que confirme Oscar, un Lushois du quartier Golf plateau. « On s’attendait à des caravanes motorisées faisant beaucoup de bruit pour le début de la campagne. Il n’en est rien. De chez moi à notre bureau, la distance est de 15 km. Nous avons bien roulé. Pas de bouchon. On a quand même vu quelques affiches de candidats. Mais la publicité sur la bière et sur d’autres produits reste bien plus visible que les affiches de campagne », témoigne-t-il.

L’arrivée de Shadary reportée

Jusqu’au soir du mercredi 21 novembre, l’arrivée du candidat FCC, Emmanuel Ramazani Shadary, dans la ville de Lubumbashi, faisait la une des médias. Ses partisans s’affairaient encore à préparer sa venue en grande pompe. Car pour le candidat du pouvoir, l’argent coule à flot. Et les moyens de l’Etat sont tout entier mobilisés. Sur place, le coordonateur du FCC et le gouverneur de la province du Haut- Katanga s’assure personnellement des préparatifs avant l’arrivée du dauphin de Joseph Kabila qui doit atterrir le jeudi 22 novembre.

Le jour J, en dépit de l’atmosphère morose qui règne sur ce premier jour de campagne, les journalistes et autres curieux guettent la moindre information sur l’arrivée de Shadary. Mais plus tard dans la matinée, la nouvelle tombe. Le dauphin de Joseph Kabila ne viendra plus. L’information s’ébruite et vers 13 heures, une source officielle nous souffle une information. « Les services de sécurité ont demandé à Shadary d’ajourner sa venue dans le Grand-Katanga. Il y aurait un bras de fer entre Kyungu wa Kumwanza et le maire de la ville. Ce dernier, qui soutient Shadary, indique que Kyungu préparerait un complot en vue de l’élimination physique du candidat du FCC ».

Dans le camp du FCC, la nouvelle inquiète et agace. « Nous avons appris cela de la part de l’hôtel de ville. On sait qu’au Katanga, plusieurs hommes politiques ont éte tués à l’instar de Lumumba, Madrandele Tanzi, Kimbangu, etc. Mais cette fois-ci on ne laissera pas faire. Si kyungu ose cela, il sera arrêté ». Du côté, de l’UNAFEC, le parti de Gabriel Kyungu wa Kumwanza, on balait d’un revers de la main cette accusation jugée « grotesque ». « C’est un prétexte pour ne pas pas venir car Kabila sait que Shadary n’est pas le bienvenue ici », sourit un cadre de l’UNAFEC.

Le pouvoir inquiet face à un probable rejet de la candidature Shadary dans l’ex-Katanga

D’une manière plus générale, dans le camp d’Ensemble, la plate-forme de soutien à Moïse Katumbi, l’homme de loin le plus populaire dans la province, et de la coalition Lamuka, qui soutient la candidature de Martin Fayulu à l’élection présientielle, personne n’est dupe. « C’est une mauvaise blague. Une excuse facile. Vous savez, ici, nous  sommes habitués à ce genre de mensonge, de manipulation », glisse un haut-responsable provincial d’Ensemble pour le Changement.

Aujourd’hui plus qu’hier, la propension du pouvoir à vouloir trouver des poux sur une tête chauve s’amplifie lorsqu’il s’agit de Moïse Katumbi ou de Gabriel Kyungu. Nshimba, un cadre de l’ UNAFEC, s’en explique. « Le pouvoir de Kabila a empêché Moïse de rentrer au pays par peur de subir une cuisante défaite électorale. Au Katanga, tout le monde est pour Moïse. Sa consigne de vote sera scrupuleusement respectée », assure-t-il.

Le pouvoir le sait, c’est pourquoi toutes les manifestations publiques de l’opposition, en général, et d’Ensemble en particulier, ont jusqu’à présent été étouffées dans l’œuf. Mais avec l’ouverture officielle de la campagne électorale, les choses changent. Les candidats d’Ensemble / Lamuka ont désormais la possibilité de s’adresser directement à la population. Et ça, le pouvoir le craint par dessus tout. D’où les accusations très graves de complot et tentative d’assassinat contre Emmanuel Ramazani Shadary.

« D’une part, le pouvoir cherche un prétexte pour différer, voire même éviter la venue du dauphin de Kabila dans la province car on se rendrait vite compte de son impopularité jusque dans la province d’origine du président de la République. Les images seraient dévastatrices. D’autre part, le régime est à la recherche d’un nouveau prétexte pour tenter d’entraver la possibilité pour les opposants de s’adresser directement à la population, ce qu’ils peuvent faire désormais avec l’ouverture de la campagne électorale, alors qu’avant, on le leur interdisait. Toute manifestation, tout meeting de l’opposition était vigoureusement réprimée », explique une source sécuritaire bien placée. Des propos confirmés par d’autres sources officielles sur place.

« C’est comme si on donnait l’impression que les élections n’auront pas lieu ou, en tout cas, pas à la date du 23 décembre »

A Lubumbashi, personne n’est dupe sur ce soi-disant complot visant Shadary. « Kabila a été surpris par l’accueil réservé à Martin Fayulu mercredi dernier à Kinshasa. Il a pris peur. Si l’opposition peut faire ça dans la capitale, qu’en sera-t-il ici, dans le fief de Moïse Katumbi et de Gabriel Kyungu », fait mine de s’interroger un cadre de l’UNAFEC. Et d’ajouter: « c’est à partir de ce moment-là que les gens du pouvoir ont cherché un prétexte pour éviter le déplacement de Shadary dans la province d’origine de Joseph Kabila. Car tout le monde le sait, le dauphin, comme on l’appelle, n’est pas le bienvenu ici ».

De fait, ce jeudi 22 novembre, de très nombreux signes démontraient que le FCC n’attendaient pas la venue de leur candidat à l’élection présidentielle ce jour-là. Pande Kapopo, le gouverneur de la province, a animé une réunion à l’attention de sa famille politique et alliés au cours de laquelle il a annoncé qu’il venait tout juste de réceptionner le kit de campagne de Shadary, à distribuer et à afficher. Il a également annoncé avoir inauguré le QG du FCC sur l’avenue Kabalo dans la commune de Lubumbashi. Enfin, il a demandé à chaque parti politique membre de la plate-forme de mobiliser 50 personnes pour l’accueil de shadary… lundi 26 novembre prochain à l’aéroport de Luano. Une date qui n’est toujours pas confirmée à ce jour.

Au passage, les candidats du FCC aux législatives ont appris que les fonds pour la campagne sont arrivés à Lubumbashi. On leur a assuré que chacun aurait sa part. Mais tous se demandent à combien celle-ci s’élève et quand les fonds leur seront effectivement versés alors que la campagne a déjà commencé.

Excédé, l’un des candidats du FCC à ces élections, nous a confiés son sentiment. « C’est comme si on donnait l’impression que les élections n’auront pas lieu ou, en tout cas, pas à la date du 23 décembre », peste-t-il. Décidément, c’est une bien étrange atmosphère qui règne à Lubumbashi, comme ailleurs probablement dans le pays.