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Jeux de la Francophonie en RDC : le pari perdu de Félix Tshisekedi

Félix Tshisekedi (à droite sur la photo) venu visiter, à grand renfort de caméras, les infrastructures devant accueillir les Jeux de la Francophonie à Kinshasa ce samedi 22 juillet 2023 © Twitter/Présidence RDC

Prévus du 28 juillet au 6 août, les Jeux de la Francophonie auraient dû être une consécration pour le président RD Congolais qui brigue un second mandat à la Présidence. L’assassinat de Chérubin Okende, ex-ministre des Transports et porte-parole du principal parti d’opposition, est venu tout chambouler.

Si au Congo, l’assassinat de Chérubin Okende, ex-ministre des Transports, député national et porte-parole d’Ensemble, le parti de l’opposant Moïse Katumbi, a fait l’effet d’un choc, à l’international, on peut parler d’électrochoc.

« C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », souffle un ambassadeur en poste à Kinshasa. Jusqu’à il y a quelques semaines encore, malgré un bilan économique et sécuritaire rachitique, une réputation de jouisseur et de dilettante et une volonté manifeste de se maintenir au pouvoir par la fraude, Félix Tshisekedi était considéré comme fréquentable. « Il était protégé par son patronyme, car le nom Tshisekedi est une marque politique forte au Congo, mais aussi par sa rondeur qui lui donne une forme apparente de bonhommie », explique un universitaire en poste en Belgique.

Mais le peu de vernis qui restait a fini par se craqueler. La répression brutale de la manifestation de l’opposition du 20 mai (lors de laquelle a sévi en toute impunité la milice de l’UDPS, le parti au pouvoir, en collusion avec la police) et les entraves à la circulation des opposants dans leur propre pays ont montré qu’il n’y avait aucune différence de nature entre le régime de Félix Tshisekedi et de Joseph Kabila. S’en ai suivi, une vague d’arrestations dans l’entourage du principal candidat de l’opposition à la présidentielle, Moïse Katumbi, sous le vague et habituel prétexte d’ « atteinte à la sureté de l’Etat » : le député provincial Mike Mukebayi (le 21 mai), son bras droit Salomon Idi Kalonda (le 30 mai), puis Franck Diongo (le 16 juin).

Okende, le nouveau Chebeya

Mais le 13 juillet, un palier incontestablement est franchi. Le corps sans vie de Chérubin Okende est retrouvé dans son véhicule. La veille, il avait rendez-vous à la Cour constitutionnelle. « Un guet-apens », a vigoureusement dénoncé son parti, dénonçant un modus operandi qui rappelle celui utilisé lors de l’assassinat en 2010 du défenseur des droits de l’Homme Floribert Chebeya et de son chauffeur Fidèle Bazana.

Prises de panique, les autorités congolaises ont aussitôt tenté de faire croire à un crime crapuleux (M. Okende aurait été attaqué par des bandits qui sévissent à Kinshasa…) avant de changer leur fusil d’épaule et de faire du garde du corps et du chauffeur de la victime les « principaux suspects » en faisant peu de cas du secret de l’instruction et des droits de la défense et sans s’embarrasser de contradictions (comme le montrent les déclarations intempestives du procureur général près la Cour de cassation).

La ficelle est si grosse que le procédé ne prend pas. « Il s’agit rechercher la manifestation de la vérité pour retrouver les assassins et leurs commanditaires et non de déployer une communication cosmétique pour désorienter l’opinion et couvrir les assassins », proteste Ensemble dans un communiqué. Si au Congo, on peine à accorder du crédit à la parole des autorités, ce n’est rien comparé à l’international où personne ne croit à la version officielle des autorités congolaises. D’autant que la presse fait son travail. Le Monde, le grand quotidien français, et Le Soir de Bruxelles, entre autres, font des révélations (très) troublantes (lire cet article).

Un arrière-goût de Jeux Olympiques de Berlin…

Pour tenter de soulager la pression, Tshisekedi et son entourage décident de faire un geste. Et libérer sans explication, 48 heures seulement après la découverte du corps inerte de Chérubin Okende, Franck Diongo, jugé moins gênant par les « stratèges » de la Présidence que Mike Mukebayi et surtout Salomon Kalonda. Mais la manœuvre est grossière. Elle ne dupe personne. « Soit les chefs d’inculpation qui pèsent sur (Franck Diongo) sont fondés et l’amènent à rester en prison, soit sa libération découle du fait du prince et sera interprétée comme une mesure destinée à calmer l’opinion », écrit la journaliste Colette Braeckman dans le journal Le Soir qui parle d’une décision « arbitraire ».

Mais pour Kinshasa, il y a urgence. L’image de Tshisekedi à l’international s’est, en l’espace de quelques heures, considérablement dégradée. « Si le président (Félix Tshisekedi) n’est pas coupable de l’assassinat de Chérubin Okende, ce que l’enquête devra prouver, il est à tout le moins responsable car ce crime intervient dans un contexte de persécution de l’opposition », indique un haut-diplomate. « Personne ne peut croire à un crime de droit commun. Une telle personnalité qui disparait sur le parking de la Cour constitutionnelle dans un contexte où l’opposition est victime d’une vague de répression, et on tente de nous faire croire qu’il n’y a pas derrière ça de motivation politique… », fait-il observer.

Félix Tshisekedi, qui ne doit d’être président que par la grâce d’un accord conclu en 2019 avec Joseph Kabila (« un arrangement à l’africaine », comme l’avait pudiquement qualifié le ministre français des Affaires étrangères de l’époque), rêvait d’une légitimation internationale à cinq mois de la date officielle des élections (prévues le 20 décembre prochain). Mais au vu de l’actualité tragique, ces Jeux 2023 de la Francophonie en RDC ont pour beaucoup un arrière-goût de JO de Berlin. A Kinshasa, la fête n’est pas encore commencée qu’elle semble déjà gâchée.