« En vidant toutes les institutions de leur substance, Kabila et ses complices ont tué l’ordre politique né du dialogue de Sun City. Congolais, il ne nous reste plus que la résistance prescrit par l’article 64 de la Constitution », a écrit sur son compte Twitter Antipas Mbusa Nyamwisi ce mardi 22 janvier. Ce grand leader de l’est, qui fut l’un des principaux belligérants de la deuxième guerre du Congo, met en garde contre l’accalmie apparente qui semble actuellement régné en RDC après la proclamation controversée de la victoire de Félix Tshisekedi à l’élection présidentielle. Interview avec un acteur clé.
Quel regard portez-vous sur le processus électoral qui s’est déroulé en RDC ?
En réalité, il n’y a pas eu d’élection. Il y a eu un processus de nomination. La déception est générale. Elle touche la très grande majorité de la population congolaise à hauteur de 75 %. L’espoir était immense, quand bien même on pouvait craindre une parodie d’élection. Cet espoir a été foulé au pied par Joseph Kabila et ses alliés de circonstance. Aujourd’hui, après l’annonce de la décision de la Cour constitutionnelle, il y en a qui pense que parce qu’il y a une relative accalmie, que la population n’est pas encore dans la rue, que certains grands leaders ne se sont pas encore exprimés, cela doit être interprété comme une forme de résignation, voire d’acceptation. Ils ont tort de le croire. En réalité, la colère est à la hauteur de la déception : très forte.
Etes-vous surpris par les décisions prises par la CENI et de la Cour constitutionnelle ?
Tout de même, oui. Nous avions malgré tout un petit espoir que ces institutions, même si nous les savions entièrement entre les mains du pouvoir, pouvaient avoir un sursaut d’indépendance face à l’évidence des résultats. L’écart entre les candidats étaient en effet abyssal. Mais là, elles sont allées trop loin. Celui qui a moins de 18 % des voix – Félix Tshisekedi – est déclaré vainqueur de l’élection présidentielle, et celui qui est arrivé en tête avec plus de 60 % des suffrages – Martin Fayulu – est relégué en troisième position. Lors des élections législatives et provinciales, c’est pire. Les résultats ont été donnés alors que les suffrages n’avaient pas encore été dépouillés dans toutes les provinces. Le FCC a été laminé lors de la présidentielle et il remporterait l’écrasante majorité des sièges à l’assemblée nationale et dans les assemblées provinciales, donc au Sénat. Tout cela n’est, à l’évidence, pas crédible du tout.
Peut-on parler d’alternance aujourd’hui en RDC avec Félix Tshisekedi à la présidence ?
Pas du tout. Il n’y a pas d’alternance. Après Kabila, c’est Kabila. Il s’est succédé à lui-même. Félix Tshisekedi, avec lequel j’ai de très bons rapports et qui est un homme estimable, ne sert aujourd’hui que de vitrine présentable à M. Kabila qui a trouvé à travers lui un moyen de perpétuer son système. Félix Tshisekedi a simplement servi à donner une fine couche de crédibilité à un processus électoral qui ne convainc personne. Il jouera le même rôle que Samy Badibanga et Bruno Tshibala en leur temps. Il n’a en effet, en vertu de la Constitution, en l’absence de majorité parlementaire, aucun pouvoir. Il peut seulement nommer son cabinet présidentiel et octroyer la grâce présidentielle. Pour le reste, il sera totalement dépendant du bon vouloir du FCC, c’est-à-dire de Joseph Kabila et de sa majorité. Comme avant, ceux-ci contrôleront tout.
L’appareil sécuritaire restera-t-il dans les mains de Joseph Kabila ?
Oui et pour deux raisons. La première, c’est que pour nommer aux plus hauts emplois civils et militaires, il faut que les décrets soient contresignés par le premier ministre. Sinon, il y a blocage. En outre, nous avons appris que dans le cadre de l’accord signé entre le FCC et CACH, il est convenu entre les parties que l’appareil sécuritaire, entre autres, reste entièrement dans les mains de Joseph Kabila et de ses proches.
Avez-vous fait l’objet, comme d’autres personnalités, de tentative de débauchage de la part du FCC ou de CACH ?
Oui. On a tenté de me faire les yeux doux. Comme à d’autres leaders d’ailleurs. Mais cela ne marchera pas. Nous nous battons pour des valeurs, des principes. Pas pour des postes ou de l’argent. Quand on défend la démocratie, il faut être intransigeant. Seuls les gens faibles peuvent céder à ces appels du pied. Hélas pour eux, ils s’en mordront bientôt les doigts.
Quelle est votre analyse sur l’attitude de l’UA, de la SADC et des principaux chefs d’Etat de la sous-région au sujet des élections en RDC ?
Je tiens tout de même à saluer l’UA qui a tenté de monter au créneau, en particulier certains présidents dont Paul Kagamé, Joao Lourenço, Yoweri Museveni, Denis Sassou Nguesso, Edgar Lungu, Idriss Deby, Alpha Condé, etc. Mais c’était sans compter sur l’intransigeance de Joseph Kabila qui se croit aujourd’hui intouchable et se permet donc de faire n’importe quoi, tant à l’intérieur du pays que vis-à-vis de l’extérieur. Il est dommage de constater que certains pays, qui ne sont pas les voisins immédiats du Congo, se sont précipités pour lui adresser des félicitations. C’est à nous désormais, Congolais, de démontrer que la démocratie n’est pas un luxe pour nous. Et nous sommes prêts à le faire.
Comment ça ?
Une très grande partie de la population n’accepte pas le scénario que Joseph Kabila et ses alliés ont voulu leur vendre. Nous allons la mobiliser. Rappelez-vous, les Congolais ont voté à une écrasante majorité en faveur de Martin Fayulu parce qu’ils souhaitent le véritable changement. Tant que celui-ci n’adviendra pas, ils ne seront pas satisfaits. En outre, dans l’armée, beaucoup d’officiers pensent, à juste titre, que la situation actuelle n’est pas tenable. Or, Joseph Kabila, contrairement à ce qu’il croit, ne tient pas l’armée. Seule une poignée d’officiers dont l’autorité est aujourd’hui entamée lui sont véritablement fidèles. Joseph Kabila aurait tort de se montrer aussi serein. Je sais parle en connaissance de cause.
Martin Fayulu est largement reconnu comme le véritable vainqueur de l’élection présidentielle. Quelle peut-être aujourd’hui la réaction du camp Lamuka que vous soutenez ?
Je tiens à féliciter Martin Fayulu pour son résultat obtenu dans les urnes. Je veux aussi le saluer pour avoir joué le jeu jusqu’au bout en allant devant cette prétendue Cour constitutionnelle même si, à sa place, je ne l’aurais pas fait car les dés étaient pipés d’avance. Cette Cour est dirigée par Benoît Lwamba Bindu, le chef de la Balubakat mutualité, le groupe tribal de M. Kabila, et les huit autres juges lui sont totalement soumis. La décision qu’elle a rendu dimanche à minuit ne relève pas du droit mais de la politique. Elle est le reflet de la volonté de M. Kabila. Mais encore une fois, je respecte le choix de Martin Fayulu qui a voulu amener le menteur jusqu’à la porte, comme on dit. On ne peut pas le lui reprocher, bien au contraire.
Vous êtes originaire du Nord-Kivu. Pour l’instant, la population, qui a voté très majoritairement en faveur de M. Fayulu semble très calme…
Le Nord-Kivu, dont un tiers des électeurs ont été écartés du scrutin (Beni ville et territoire, Butembo), a voté de façon écrasante pour Martin Fayulu. Là-bas, les gens n’acceptent pas la version officielle. Pas plus qu’ailleurs au Congo. L’explosion viendra inévitablement. Et elle sera à la hauteur de la déception. Le calme est trompeur. C’est le calme avant la tempête. Les gens ont subi le kabilisme pendant près de 20 ans. Ils en ont assez aujourd’hui. Ils sont excédés. Et ce mécontentement n’épargne pas, je le répète, les rangs de l’armée.
Craignez-vous aujourd’hui pour la stabilité du pays et de son voisinage ?
La RDC a neuf voisins. Ceux-ci sont très inquiets par ce qui se passe actuellement chez nous car ils en subissent les conséquences à travers notamment l’afflux de centaines de milliers de réfugiés qui arrivent sur leur territoire. Un signe ne trompe pas. Ces pays voisins ne se sont pas montrés très prompts à saluer la victoire « officielle » de Félix Tshisekedi. Ceux qui l’ont fait n’ont pas de frontières directes avec notre pays. Les voisins immédiats de la RDC, eux, sont très inquiets. Et ils ont raison de l’être.