En République Démocratique du Congo, les fondamentaux de l’économie, loin de s’améliorer, se dégradent. Quant à la lutte contre la corruption, elle reste une fiction. Rien de sérieux n’a été fait sur ce plan depuis l’investiture de Félix Tshisekedi à la présidence en janvier 2019. C’est ce constat, sévère, mais lucide, que brosse le Dr Boniface P. Yemba, l’un des plus éminents économistes RD congolais, professeur au Lewis College of Business à la Marshall University dans l’Etat de West Virginia et co-auteur de la première version du Document de stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté (DSRP) de la RDC. C’est également lui qui a rédigé en 2018 la partie macro-économique de l’opposant Moïse Katumbi. Interview.
Propos recueillis depuis Washington D.C. par Adrien Seyes
Quelle est la situation économique aujourd’hui en RDC ?
En 2019, le PIB a augmenté de 4,5 %. En 2020, les projections se situent à 3,9 %, un niveau trop faible pour entraîner une réelle amélioration compte tenu du stade de développement du pays et de sa croissance démographique. En outre, pour le seul mois de janvier cette année, l’inflation a augmenté de 7,35 % alors que la moyenne inscrite dans la Loi de finances pour 2020 n’est que de 5 % en rythme annuel.
Quid des recettes et des dépenses de l’Etat en ce début d’année ?
D’après les chiffres publiés par le ministère des Finances au 31 janvier 2020, ces recettes étaient de 432 milliards de francs congolais. Les dépenses à 546 milliards de francs congolais. D’où un déficit primaire de 114 milliards de francs congolais pour le premier mois de l’année. Un montant proprement exorbitant d’autant que, d’une part, ce déficit primaire, financé par les avances de la Banque centrale du Congo (BCC), ne prend pas en compte le service de la dette et que, d’autre part, la politique budgétaire dans notre pays joue le rôle de politique de stabilisation de l’économie du fait de l’inefficacité de la politique monétaire. Or, ceci a un impact direct sur le quotidien des Congolais avec une hausse des prix (inflation) et la détérioration du taux de change.
Qu’en est-il justement des réserves de change internationales ?
Au 31 janvier 2020, elles se chiffrent à 829,16 millions de dollars, ce qui représente seulement trois petites semaines d’importation. Un niveau dramatiquement faible.
Et s’agissant de l’exécution du budget à fin janvier 2020, pouvez-vous nous en donner le détail ?
Les dépenses en capital (investissement) sont de 0 %. Les dépenses de fonctionnement sont de l’ordre de 6,1 %. La dette publique de 10 %. Les rémunérations et traitements des fonctionnaires de 25,5 %. Et, chose très curieuse, les dépenses dites urgentes sont à 34,6 %. En clair, il ne s’agit pas d’un budget élaboré pour développer le pays, investir dans son avenir. L’Etat n’investissant pas, il ne montre pas l’exemple au secteur privé.
Dans ces conditions, la RDC peut-elle être éligible à l’aide du FMI, ce qu’elle recherche ?
Il y a toujours en la matière un volet technique et un volet politique. Sur le volet technique, si je prends les conditions définies par le FMI sur le plan budgétaire, notamment en termes d’accroissement de recettes, 893,5 milliards de francs congolais visés, cet objectif est atteignable car il est peu ambitieux. En revanche, là où les choses risquent d’achopper, c’est en matière de transparence et de lutte contre la corruption où on est très loin du compte.
Quelles mesures prioritaires faudrait-il prendre pour stimuler l’économie ?
Un, accroître la transparence dans le secteur minier. En attendant un jour une plus grande diversification de notre économie, la RDC a indispensablement besoin de ses mines pour financer son développement. Deux, mettre en place l’informatisation complète de la chaîne des recettes de l’Etat dans un souci de traçabilité. C’est important pour réduire les détournements des recettes de l’Etat par les dirigeants publics et les fonctionnaires. Trois, mettre en oeuvre des stratégies sectorielles cohérentes de croissance et de réduction de la pauvreté. Celles-ci ont été définies par le passé mais n’ont jamais été exécutées. Trois, renforcer l’indépendance de la Banque centrale, ne serait-ce que pour éviter ce que l’on a connu par le passé comme les faillites de banques, qui jouent un rôle capital dans la mobilisation de l’épargne et dans la transformation de celle-ci en crédits au secteur privé. Quatre, renforcer l’indépendance de la justice pour lutter plus efficacement contre la corruption. Enfin, cinq, mettre un terme aux conflits dans l’est du pays. Au-delà de la catastrophe humaine, ces conflits impactent négativement l’image du pays et donc la confiance que les investisseurs sont susceptibles de placer en lui.
Le secteur extractif continue de dominer l’économie. La diversification reste encore aujourd’hui un slogan ?
La volonté de diversifier l’économie n’est pas neuve. Elle remonte à la fin des années 1970 lorsqu’on a créé la Sofidé (Société financière de développement) pour aider l’économie à se diversifier, de même que la Banque du crédit agricole (BCA) ou encore le Fonds de promotion de l’industrie (FPI) en 1986 pour préparer le pays à l’après-mines. Mais à chaque fois, ces structures ont été utilisées n’ont pas à des fins économiques mais politiques, notamment pour récompenser les proches du pouvoir. Du coup, Sofidé et BCA sont tombés en faillite. Et si le FPI continue d’exister, c’est parce qu’il perçoit des taxes qui le maintiennent à flot. Cela dit, il n’est pas impossible d’amorcer une véritable diversification économique. Le Chili par exemple, qui dispose de richesses minières importantes à l’instar de la RDC, l’a fait, ce qui lui a permis de réduire son taux de pauvreté de 70 %. Nous pouvons donc nous aussi le faire. C’est une question de volonté politique et de bonne gouvernance.
La lutte contre la corruption a-t-elle progressé depuis l’investiture de Félix Tshisekedi ?
Malheureusement non. Il suffit de voir, pour en juger, les nombreux scandales financiers qui touchent aux finances publiques, en particulier au niveau de la Présidence ou des entreprises publiques comme la Gécamines, et l’absence de mesures effectives pour y remédier. En réalité, il n’y a pas de réelle volonté encore aujourd’hui de lutter contre la corruption et l’enrichissement illicite. De ce point de vue, après 2018 est égal à avant 2018. C’est un fait, aujourd’hui comme hier en RDC, corrompus et corrupteurs ne sont toujours pas inquiétés.