D’après un document signé par le chef d’état major des FARDC, une coopération se prépare avec les pays voisins (Burundi, Ouganda, Rwanda) pour mener des opérations de pacification dans l’est de la RDC, gangréné depuis plusieurs décennies par des groupes armées. Un état major inter-armé devrait être mis en place. Une initiative qui soulève questions et inquiétudes et ravive le douloureux souvenir de Kisangani en juin 2000.
Lors de son passage la semaine dernière à Beni dans le Nord-Kivu, le président RD congolais Félix Tshisekedi avait promis le lancement rapide d’une opération militaire contre les groupes armés, très nombreux dans l’est du pays.
C’est une réponse multinationale qui se dessine. Un document signé par le chef des FARDC, Célestin Mbala, qui a été éventé, indique qu’une coopération poussée entre plusieurs pays (RDC, Burundi, Ouganda, Rwanda) est en passe d’être mise sur pied qui se traduira par un état-major intégré basé à Goma, la capitale du Nord-Kivu, ainsi que des opérations conjointes.
Une réunion entre les chefs d’état-major des pays concernés doit se tenir à Goma les 24 et 25 octobre prochain, après celle qui a eu lieu les 13 et 14 septembre dernier.
Si un large consensus se dégage sur la nécessité de lutter contre les groupes armées dans l’est de la RDC, beaucoup s’interrogent sur les motivations des pays de la sous-région à participer à une telle opération, alors que ceux-ci sont régulièrement accusés de mener des incursions dans le Nord comme dans le Sud-Kivu.
De la guerre par procuration à l’affrontement direct ?
Ces pays ont-ils pour motivation de pacifier l’est du territoire de leur voisin ou bien ne chercheront-ils pas d’abord à repousser un peu plus loin de leurs frontières les groupes armés rebelles présents sur le sol RD congolais (Cnared pour les Burundais, ADF-Nalu pour les Ougandais, FDLR pour les Rwandais) ?
Dans ce second cas, les choses seront d’autant plus compliquée sur le terrain que chacun y a ses protégés. Ces pays se livrent en effet, depuis deux décennies, une guerre par procuration sur le sol congolais en stipendiant des groupes armés hostiles à leurs adversaires. Et y voir clair n’est pas toujours évident. « Qui va décider qui sera attaqué ? Par exemple, le M23 qui est soutenu pour partie par l’Ouganda contre le Rwanda, et pour une autre partie par le Rwanda, sera-t-il attaqué ? Et si oui, par qui ? Ce sera un imbroglio terrible », s’inquiète un haut-gradé des FARDC qui voit d’un mauvais œil la possible arrivée de ces « pompiers-pyromanes ». « On ne règle pas les problèmes avec ceux qui les ont créés », s’égosille-t-il.
Pour lui, la solution résiderait dans les moyens qu’il faudrait apporter à l’armée congolaise et qui sont aujourd’hui, en grande partie, détournés. « Même la nourriture manque, sans parler de la solde qui n’est pas toujours payée, ce qui incite les militaires à se nourrir sur le dos de la population », explique-t-il.
Souvenir traumatique de Kisangani en 2000
Autre question : comment ces pays, qui s’opposent ouvertement, pourront-ils s’entendre dans le cadre d’un état-major intégré ? Les tensions sont vives entre le Burundi et le Rwanda (depuis le coup d’Etat manqué à Bujumbura en mai 2015), mais aussi entre le Rwanda et l’Ouganda. Les sujets de dissension entre eux sont légions.
Plus grave, d’autres s’inquiètent, à l’instar de la société civile dans les Kivu, de la possibilité que ces puissances rivales ne soient tentées de régler leurs comptes sur le sol congolais afin d’épargner leurs propres populations. Une hypothèse qui rappelle le triste épisode de Kisangani il y a 19 ans. Du 5 au 10 juin 2000, dans ce qui était alors le chef-lieu de la province orientale, les armées rwandaise et ougandaise s’étaient violemment affrontées à l’armes lourdes jusque dans des quartiers densément peuplés lors de la guerre des six jours.
Le bilan avait été particulièrement lourd : 1 200 morts et 3 000 blessés parmi les civils, selon l’ONG Amnesty International. Un traumatisme qui n’est pas prêt de s’effacer de la mémoire des Congolais.