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Francis Kalombo au sujet de Kabila, Katumbi et du débat sur la nationalité : « ce n’est pas à ceux qui sont venus au Congo par les armes de chasser les Congolais de leur pays »

Francis Kalombo, l'un des lieutenants de Moïse Katumbi, interviewé par Le Congo Libéré le 24 mars 2018.

Il est l’un des membres de la garde rapprochée de Moïse Katumbi. Francis Kalombo revient pour Le Congo Libéré sur la polémique, qui a ressurgi fort opportunément ces derniers jours, concernant la nationalité de l’opposant numéro un congolais. Pour lui, « le débat sur la nationalité de Moïse Katumbi est un faux débat destiné à l’écarter de la course à la présidentielle » et qui « détourne l’opinion des vrais sujets, à savoir l’organisation du scrutin et le programme de société défendu par les candidats à cette occasion ». Interview.

Propos recueillis par Adrien Seyes.

Le débat sur la double nationalité de Moise Katumbi ressurgit aujourd’hui. Pourquoi ? 

La kabilie a peur. Elle a peur de Moïse Katumbi qui a un très bon bilan à la tête du gouvernorat de l’ex-Katanga. Elle sait que si Moïse Katumbi se porte candidat, une très grande majorité de Congolais voteront pour lui. Même en cas de triche, la kabilie sait qu’elle n’a aucune chance face à Moïse Katumbi. Après avoir essayé plusieurs subterfuges comme de multiples procès politiques, la kabilie tente de parvenir à ses fins en agitant cette polémique nauséabonde sur la nationalité.

En réalité, c’est un signe de faiblesse, de fébrilité de la part de Joseph Kabila et de ses proches. Ce débat est un faux débat. La kabilie cherche seulement à se choisir les concurrents face auxquels elle présentera son propre candidat. Elle essaie donc d’écarter de la course à la présidentielle Moïse Katumbi car, face à lui, la kabilie n’a aucune chance dans les urnes, même – je le répète – en cas de triche massive.

En outre, comme Kabila et ses proches ont un très mauvais bilan, ce genre de polémique leur sert à occulter l’essentiel, à détourner l’opinion des vrais sujets, à savoir l’organisation du scrutin tant attendu et le programme de société défendu par les candidats à cette occasion. La vérité, c’est que la kabilie n’a aucune idée pour améliorer le sort des Congolais. Depuis 17 ans, elle a eu le temps malheureusement de le démontrer…

Paradoxalement, ce débat n’est pas toujours bien perçu au sein de la majorité. Pour quelles raisons ? 

Parce que beaucoup de responsables de la MP sont titulaires d’une autre nationalité que la nationalité congolaise. Souvenez-vous, l’ancien directeur de cabinet du président de la République [NDLR : Beya Siku] avait été refusé par les autorités belges lorsque le régime de Kinshasa a voulu le nommer ambassadeur à Bruxelles parce qu’il était citoyen belge. Il a, du coup, été nommé ambassadeur en Angola. Et des cas comme celui-ci, il y en a beaucoup dans la kabilie.

Mais en réalité, ce débat sur la nationalité est un faux-débat, de surcroît extrêmement dangereux. Des Congolais ont pris, par le passé, les armes parce qu’on a voulu les priver de leur nationalité congolaise. Je parle ici des Congolais, d’origine tutsie, les Banyamulenges. Ce problème a été réglé par les accords de cessez-le-feu de Lusaka (NDLR : signé le 10 juillet 1999).

Ceux-ci ont permis de régler ce problème de nationalité comme le montre de nombreux exemples. Prenez le cas du président du Sénat, Léon Kengo Wa Dondo. Son père est polonais, sa mère est rwandaise. Mais il est Congolais d’origine et sa candidature aux élections a toujours été validée. Cela n’a jamais posé de problème, en application de l’accord de Lusaka. Idem pour Azarias Ruberwa, un tutsie Banyamulenge (NDLR : qui fut vice-président de la RDC et candidat à l’élection présidentielle en 2006), qui a également été reconnu comme Congolais d’origine. Je pourrais multiplier sans peine les exemples de ce type, comme feu Charles Mwando Nsimba, ancien vice-président de l’Assemblée nationale. Il avait la nationalité belge. Simplement, il y a renoncé et s’est porté candidat.

Que dit précisément le droit actuel sur cette question de nationalité en lien avec la possibilité de se présenter ou non aux élections. Et quelle est la pratique dans les faits ?

Vous avez raison de distinguer car il y a le droit (qui n’est pas très clair) et la pratique (qui est en revanche certaine et constante). Après la signature des accords de Sun City (où les Congolais de la diaspora qui, pour la plupart, étaient titulaires d’une autre nationalité, ont été largement invités), une loi a été votée pour permettre à ceux qui avaient perdu la nationalité congolaise de la recouvrer. Mais ce texte était si difficile d’application qu’un accord a été trouvé et un moratoire mis en place pour permettre aux Congolais d’origine, contraints de partir en exil et qui avaient été obligés de prendre une autre nationalité, de recouvrer leur nationalité congolaise. A l’époque, le fait de renoncer à votre autre nationalité vous permettez automatiquement de reprendre la nationalité congolaise, et donc de vous inscrire sur les listes électorales pour pouvoir voter ou vous présenter aux élections. Lambert Mende avait même, alors, saisi la Cour de Justice, qui faisait office de Cour constitutionnelle, afin qu’elle invalide certains candidats du MLC dans le cadre des élections des gouverneurs, notamment au Kasaï Oriental, au motif qu’ils détenaient d’après lui la nationalité belge. Mais Mende a été débouté par la Cour et les candidats en question ont pu se présenter parce que l’application de la loi sur la nationalité avait été suspendue en raison du moratoire. Moratoire qui a été prolongé par la suite par l’Assemblée nationale dirigée alors par Vital Kamerhe jusqu’à ce qu’une nouvelle loi sur le recouvrement de la nationalité congolaise soit votée. C’est ce qui avait été convenu alors. Mais jusqu’à ce jour, aucune loi n’a été votée à ce sujet. Donc, nous vivons encore sous l’empire de ce même régime.

Et puis, il y a le cas, très récent, de l’ex-Premier ministre, Samy Badibanga…

Tout à fait. Après qu’il ait été nommé Premier ministre (NDLR : en novembre 2016), on a découvert qu’il avait la nationalité belge. Qu’a-t-il fait ? Il a écrit une lettre disant qu’il souhaitait renoncer à sa nationalité belge et il est resté Premier ministre.

Mais le ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, a profité de cet événement pour introduire, de son propre chef, une procédure en contradiction avec la pratique qui a prévalu ces dix dernières années. Le ministre a pris à cette occasion un arrêté individuel pour attester du fait que Samy Badibanga avait bien renoncé par courrier à sa nationalité belge. Mais de ce fait-là, Thambwe Mwamaba reconnait une chose : qu’il suffit à l’intéressé de renoncer à son autre nationalité pour recouvrer automatiquement et dans délai la nationalité congolaise exclusive. Il ne peut donc y avoir deux poids deux mesures.

Autre exemple, Oly Ilunga Kalenga Tshimankinda, le ministre de la Santé, l’ex-médecin de Félix Tshisekedi, est également un sujet belge, tout comme Emmanuel Ilunga Ngoie Kasongo, le vice-ministre des Congolais de l’étranger. La kabilie est en réalité remplie de profils de ce type. Et pas que dans la classe politique mais aussi chez les hauts gradés de l’armée, de la police, des services de sécurité, de la DGM, de la diplomatie, etc. Voilà pourquoi ce débat sur la nationalité met si mal à l’aise la kabilie.

Et puis, nous, au Congo, nous avons dit que la congolité ne doit pas poser de problème comme l’ivoirité. N’entrons pas dans ce débat dangereux. Un débat qui ne concerne pas Moïse Katumbi qui est Congolais, qui y est né, y a toujours travaillé, y a été élu, etc. La polémique que tente de faire naitre la MP à son sujet est ridicule.

Juridiquement, comment prouve-t-on sa nationalité congolaise ?

C’est simple. Grâce à deux documents, comme l’indique la loi et la jurisprudence constante de la Cour Constitutionnelle. Avec la carte nationale d’identité ou de certificat de naissance. Moïse Katumbi possède bien un acte de naissance et une carte d’identité (carte d’électeur qu’il a utilisée pour l’élection présidentielle de 2006 et de 2011, et qui fait par ailleurs office de carte d’identité). Et sa famille est très connue. Du côté de sa mère, il est issu d’une lignée princière. Qui donc peut sans rire mettre en cause sa nationalité congolaise ?

Autre élément récent, la lettre du Procureur général de la République portant « notification de demande d’audience », identifie bien Moïse Katumbi comme citoyen congolais.

Cette polémique ne vous rappelle-t-elle pas celle dont a été l’objet à l’époque Joseph Kabila ?

Bien sûr. Et je suis le mieux placé pour pouvoir en parler. Si je me bats aujourd’hui pour que l’on enterre ce faux problème de nationalité, c’est parce que j’ai une position constante, de principe sur ce sujet. J’avais en effet soutenu à l’époque que Joseph Kabila était bien Congolais et dit qu’il fallait arrêter d’agiter le chiffon rouge de la congolité. Car c’est très dangereux.

Quand Joseph Kabila est arrivé au pouvoir, tout le monde disait : nous ne savons pas où il est né, d’où il vient. Son père n’est pas son père. Sa mère n’est pas sa mère. Il ne parle même pas nos langues. Même Zoé Kabila, le jeune frère du président (hors mandat), avait reconnu dans une interview à Jeune Afrique (NDLR : le 26 septembre 2016) que quand ils étaient jeunes, ils ne savaient pas qu’ils étaient Congolais. Manière de reconnaître qu’ils avaient une autre nationalité. Et j’aimerais bien savoir quelles démarches ils ont fait à l’époque pour recouvrer la nationalité congolaise ? Ont-ils sollicité un arrêté auprès du ministre de la Justice ?

A l’époque, j’ai été le premier à dire : n’entrons pas dans ce débat-là. C’est une question de principe. Et bien, je le redis aujourd’hui. Ceux qui en ont été victimes hier, ne doivent pas être les bourreaux aujourd’hui. La kabilie ne doit pas avoir la mémoire courte. Je le redis, ce débat sur la nationalité est dangereux. Beaucoup en sont morts.

Moi, ma position est constante. Récemment encore, quand ont été ressortis les propos de l’ancien gouverneur de l’ex-Katanga et actuel ministre des Hydrocarbures, Aimé Ngoy Mukena, qui affirmait qu’il avait été chargé de construire l’identité katangaise de Joseph Kabila, j’ai pris la défense de ce dernier, car ce débat est radioactif. En l’espèce, ça n’est pas une question de personne, de Joseph Kabila ou de Moïse Katumbi, c’est une question de responsabilité. Il en va de la paix au Congo.

Ne commettons donc pas l’erreur de rouvrir la boîte de Pandore à moins que la kabilie ne soit décidée à aller jusqu’à cette extrémité pour s’éterniser au pouvoir.

C’est votre sentiment ?

Je constate simplement que la kabilie ne veut pas des élections. Pour preuve, il a fallu que Moïse Katumbi mette en place une plateforme électorale pour que le camp présidentiel commence à s’inquiéter. Joseph Kabila et ses proches, qui ne pensaient pas jusqu’alors que l’opposition s’engagerait dans le processus électoral, voient avec inquiétude que celle-ci s’organise, se prépare. D’où cette polémique sur la nationalité de Moïse Katumbi, d’où également la réactivation par la Justice sur ordre de la kabilie du dossier farfelu des mercenaires. Il n’y a pas de hasard de calendrier.

A ce propos, comme l’a révélé ce vendredi Le Congo Libéré, le Procureur général de la République a très récemment demandé à la Justice de réactiver et d’accélérer l’affaire dites des mercenaires imputés à Moïse Katumbi. Cela vous inquiète-t-il ?

Déjà, ce dossier est un montage politique qui n’a ni queue ni tête dont le seul but est de priver Moïse Katumbi du droit de se présenter aux élections. La CENCO elle-même l’a dit à l’issue de son enquête indépendante dont elle a remis une copie début 2017 à Joseph Kabila. Comme la kabilie voit que cette histoire de nationalité est un peu légère pour neutraliser Moïse Katumbi, du coup, elles tentent de passer par la voie judiciaire. Mais au fond, même Kabila et ses proches savent pertinemment que cette histoire de mercenaires est un grossier mensonge.

La forme suivie est également intéressante. Qu’est qui justifie que cette affaire de mercenaires soit portée devant la Cour suprême ? Car aujourd’hui, Moïse Katumbi est un simple citoyen. Il n’est plus gouverneur. En réalité, la raison de ce choix est simple : la kabilie cherche à obtenir une condamnation rapide, ferme et définitive, c’est-à-dire non susceptible d’appel, avant juin 2018 qui est la date limite pour le dépôt des candidatures à l’élection présidentielle. L’objectif est donc de bloquer le dépôt de candidature de Moïse Katumbi afin qu’il ne puisse pas se présenter à ce scrutin. Rien ne justifie donc ce privilège de juridiction si ce n’est cette basse manœuvre politicienne.

Encore une fois, cette affaire des mercenaires est purement politique. Tout le monde le sait, à commencer par la kabilie elle-même qui n’aurait jamais pensé que l’opposition s’organiserait pour aller aux élections. D’où son excitation actuelle, qui est un signe de fébrilité.