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En RDC, la justice « aux ordres de Félix Tshisekedi » s’acharne sur Stanis Bujakera et Salomon Kalonda

Stanys Bujakera et Salomon Idi Kalonda, deux prisonniers emblématiques du mandat très controversé de Félix Tshisekedi à la tête de la RDC © DR

Le journaliste Stanis Bujakera et l’opposant Salomon Kalonda, bras droit de Moïse Katumbi, subissent tous deux les affres d’une justice congolaise caporalisée et décrédibilisée.

Correspondant de Reuters et de Jeune Afrique en RDC et directeur de la publication adjoint d’Actualité.cd, Stanis Bujakera croupit en prison depuis son arrestation le 8 septembre dernier à l’aéroport de Ndjili/Kinshasa. Ce vendredi 3 novembre, ses avocats ont introduit une nouvelle demande de mise en liberté provisoire. La Justice devrait rendre sa décision sous 48 heures, d’ici lundi. Jusqu’à présent, toutes les demandes en ce sens ont été rejetées.

Cette semaine pourtant, l’organisation Reporters sans frontière (RSF) a indiqué, au terme d’une enquête sur place, que la note concernant l’assassinat de l’opposant Chérubin Okende, que Jeune Afrique a publiée et que la justice congolaise accuse M. Bujakera d’avoir « fabriquée », est « parfaitement authentique ».

« La mise hors-jeu de Stanis Bujakera est un signal envoyé aux journalistes : ne vous avisez pas d’enquêter sur la mort de Chérubin Okende. Pour l’instant, ça fonctionne. Personne n’a repris le flambeau des investigations. Mieux, l’affaire Bujakera a chassé l’affaire Okende à la une des médias. Le pouvoir s’en frotte les mains », fait observer un journaliste du Potentiel.

« Sur le plan des libertés publiques, Tshisekedi n’a rien à envier à Kabila »

L’arrestation et la détention de Stanis Bujakera intervient dans un contexte de forte dégradation de la liberté de la presse en RDC. Dans un rapport publié cette semaine, l’association Journalistes en danger (JED) « fustige les promesses non tenues du nouveau président (Félix Tshisekedi) et constate qu’aucune action d’envergure n’a été prise », sur les plans politique, judiciaire ou sécuritaire, « pour rendre plus sûr l’exercice du métier de journaliste, en dépit de l’adoption d’une nouvelle loi sur la presse. En cinq ans, JED dit avoir enregistré « au moins 523 cas d’attaques diverses contre la presse », dont au moins 160 arrestations, plus de 130 cas de menaces ou violences physiques, 123 cas de médias « attaqués, fermés ou d’émissions interdites ».

Des chiffres qui apportent de l’eau au moulin de ceux qui fustigent la dérive dictatoriale du régime actuel. « Sur le plan des libertés publiques et de l’Etat de droit, Félix Tshisekedi n’a rien à envier à son prédécesseur Joseph Kabila. La justice demeure totalement caporalisée et c’est le fait du prince qui prévaut », dénonce un responsable du mouvement citoyen La Lucha.

Salomon Idi Kalonda qualifié de « détenu particulièrement surveillé par le Président »

Autre prisonnier emblématique du mandat de Félix Tshisekedi : Salomon Idi Kalonda. « Ici aussi, on frise le ridicule », s’agace un haut-diplomate qui qualifie M. Kalonda de « DPSP », comprendre « détenu particulièrement surveillé par le président ».

Depuis sa brutale arrestation le 30 mai dernier sur le tarmac de l’aéroport de Ndjili, l’état de santé du bras droit de Moïse Katumbi s’est considérablement dégradé. Très affaibli par la maladie, il est depuis le mois de septembre soigné dans une clinique privée hautement sécurisée. Insuffisant, selon une contre-expertise médicale récente qui préconise des soins appropriés qui ne peuvent être prodigués qu’à l’étranger.

Malgré l’ingéniosité de la justice congolaise, le dossier de l’accusé reste désespérément vide. « M. Kalonda est détenu pour des raisons purement politiques en toute illégalité. Ses droits à une défense équitable sont systématiquement bafoués. Il est jugé par une Cour militaire alors que c’est un civil. On lui impute des accusations fantaisistes (…) Dans ce dossier, la justice congolaise, téléguidée par la Présidence de la République, cherche à fabriquer un coupable », dénonce un membre de l’ONG Justicia Abl qui en veut pour preuve « le refus répété de la Justice de déclassifier les procès-verbaux établis par les renseignements militaires. »

« Procès de la honte » et tragi-comédie judiciaire

Pour ne pas perdre la face, Kinshasa tient absolument à faire condamner M. Kalonda. Coûte que coûte et vite. C’est pourquoi, alors que son médecin s’est opposé, dans un courrier adressé à la cour militaire, à toute extraction de force pour l’emmener ce jeudi 2 novembre au tribunal, l’accusation pense avoir trouvé la parade. Elle souhaite que la prochaine comparution se tienne en audience foraine à… l’hôpital !

Surréaliste selon ses avocats. « C’est contraire à tous les droits humains. Vous êtes en train d’imaginer Salomon Kalonda Della sous respirateur, sous assistance médicale, en train d’être interrogé par une justice militaire ? Pour répondre aux questions, il doit enlever le respirateur, après, il va remettre pour continuer à respirer… Cela va aboutir à un procès de la honte. Tout ce qu’on demande, c’est qu’on suspende les audiences pour un délai un peu plus long d’au moins trois mois pour permettre qu’on puisse le stabiliser. Donc il n’y a aucune raison de s’acharner sur lui », souligne Maître Hervé Diakiese.

Dégât dans l’opinion pour Félix Tshisekedi

C’est le 8 novembre prochain que les juges devraient se prononcer sur ce qui s’apparente à une tragi-comédie judiciaire. Prompte à son habitude à procrastiner, la Justice RD Congolaise semble en l’espèce très pressée. « La célérité avec laquelle on veut juger M. Kalonda n’a d’égal que la lenteur avec laquelle on traite le dossier sur l’assassinat de Chérubin Okende », grince une source au sein de la Monusco.

En attendant de connaître quelles seront les suites judiciaires, pour Félix Tshisekedi, le mal est fait. « L’ampleur des dégâts dans l’opinion publique, nationale comme internationale, suite aux affaires Bujakera, Kalonda et autres, est considérable pour M. Tshisekedi, au Congo comme à l’international. Ce ne sera pas sans conséquence sur les élections à venir », peut-on lire dans un câble diplomatique daté de la fin octobre. Le document pointe du doigt « l’entourage (du président RD Congolais] où se mêlent des gens d’inégales qualités qui le tirent vers le bas depuis le début de son mandat (…), lui font prendre de mauvaises décisions et commettre un nombre incalculable d’erreurs ».

L’arrestation et la détention de Stanis Bujakera et de Salomon Kalonda (mais aussi des opposants Jean-Marc Kabund, Mike Mukebayi, Lens Omelanga, de l’activiste Mwamisyo Ndungo King ou encore du chanteur Delkat Idingo, etc.) en font incontestablement partie.