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En RDC, la campagne pour l’élection présidentielle a (déjà) commencé

Le camp Tshisekedi reproche à Didier Reynders, tout comme aux diplomates européens et américains en général, sa supposée proximité avec Moïse Katumbi © DR

Depuis une semaine, des articles à charge visant Moïse Katumbi fleurissent dans la presse et sur les réseaux sociaux. Un timing qui n’est en rien le fait du hasard. Explications.

« Il en pleut comme à gravelotte ! », s’exclame, dans un sourire entendu, un ambassadeur européen en RDC qui, le poids des années aidant, est devenu un observateur averti de la vie politique locale.

Ce à quoi fait référence ce diplomate, à l’esprit aussi fin que la silhouette, c’est à la floppé d’articles à charge contre Moïse Katumbi qui, depuis une semaine, poussent comme des champignons dans la presse, à tout le moins une partie d’entre elle, et sur les réseaux sociaux.

Dans ces articles aux accents pamphlétaires, écrit dans un style très approximatif, on peut lire tour à tour que Moïse Katumbi serait le « candidat de l’étranger », singulièrement de la Belgique et des Etats-Unis, mais aussi de la France (« à preuve », avance un site « d’information » en ligne, son avocat, Me Eric Dupond-Moretti, est l’actuel ministre français de la Justice) ou encore d’Israël (dans un antisémitisme prequ’assumé, le père de M. Katumbi étant de confession juive). On peut lire également que M. Katumbi serait le « candidat de l’affairisme » (l’ex-gouverneur du Katanga ayant réussi dans les affaires). Ou encore qu’il serait un « suppôt » du Rwanda en RDC (« nous n’avons pu lire aucune déclaration [de M. Katumbi] pointant du doigt le Rwanda dans la crise sécuritaire à l’est du Congo, son pays ou l’un de ses pays », est-il écrit dans l’un de ces articles où la xénophobie est ouvertement assumée ; ce qui est faux au demeurant, M. Katumbi s’étant publiquement exprimé sur le sujet).

Les motivations de ces articles, tout comme l’identité de leurs auteurs, font peu de doutes. M. Tshisekedi considère que pour la présidentielle à venir, il n’a qu’un seul véritable rival : M. Katumbi. « Moïse », comme il est communément appelé par ses proches, est probablement le seul homme politique à pouvoir se targuer d’une expérience réussie de gouvernance publique en RDC depuis l’Indépendance du pays. Son bilan à la tête de l’ex-Katanga comme gouverneur (de 2007 à 2015) en ferait pâlir plus d’un. Mais M. Katumbi à d’autres atouts. C’est un catholique fervent et sincère, un avantage dans un pays où cette religion est celle de 80 % de la population. Le « Chairman », comme il est surnommé, est aussi l’emblématique patron du TP Mazembe, l’un des clubs les plus titrés d’Afrique depuis le début des années 2000. « L’équipe nationale bis de RDC », comme on l’appelle parfois, fait la fierté des Congolais bien au-delà des travées du Stade de Kamalondo à Lubumbashi. « Dans chaque village en RDC, il y a un supporteur du TP Mazembe », reconnait un ex-dirigeant du FC Lupopo, un autre club lushois, rival du TP Mazembe.

« Le bilan de M. Tshisekedi n’est pas mauvais. Il est catastrophique »

Mis bout à bout, ces éléments expliquent le fait que M. Katumbi reste l’homme politique le plus populaire du pays. Un phénomène si évident que même les sondages les plus sérieux (voir en particulier ceux du GEC) arrivent à le capter, quand bien même il est difficile d’en réaliser en RDC. « Même sans sondage, il n’est qu’à voir la foule que draine M. Katumbi derrière lui à chacun de ses déplacements pour se rendre compte de sa popularité. C’est un fait indéniable », explique un professeur congolais en science politique basé à l’international.

Surtout, comme le rappelle cet universitaire, « davantage que la côte de popularité, ce qu’il faut jauger, c’est le potentiel électoral. C’est là-dessus que se gagne une élection. Sur ce plan, il n’y a pas match entre M. Tshisekedi dont la base électorale naturelle, le Grand Kasaï, pèse moins de 20 %, alors que l’est, bastion de M. Katumbi, représente près de 50 % des voix ». Et encore, il est loin d’être acquis que M. Tshisekedi puisse faire le plein dans son fief comme l’a montré son séjour au Grand Kasaï en fin d’année dernière. « Le bilan de M. Tshisekedi à la tête de la RDC n’est pas considéré comme mauvais. Il est jugé catastrophique. Y compris au Kasaï qui n’est pas épargné par les problématiques d’insécurité, de manque d’eau, d’électricité, d’écoles, de centres de santé, etc. », fait remarquer ce professeur.

Déplacement raté à New York

Mais dans cette affaire, le plus intéressant n’est pas tant le contenu de ces articles à charge contre M. Katumbi (qui sont souvent un simple copié-collé de ceux publiés en 2017/2018 durant la précédente campagne électorale) que le timing dans lequel ceux-ci ont fait irruption, tels des boutons sur le visage acnéique d’un adolescent. Hasard de calendrier, il y a une semaine à peine Félix Tshisekedi revenait de New-York où il a assisté à l’Assemblée générale de l’ONU. La mine maussade. Aucun des objectifs que le chef de l’Etat congolais s’était fixé pour ce déplacement n’ont été remplis. Les agissements du Rwanda n’ont pas fait l’objet d’une condamnation de la part de la communauté internationale. Surtout, M. Tshisekedi escomptait un tête-à-tête avec le président américain Joe Biden. Pour y parvenir, il avait mis toutes les chances de son côté en recrutant à grands frais des lobbyistes. Las, la rencontre tant espérée n’a pas eu lieu. Un camouflet pour le président RD congolais. Pire, lors de son déplacement, M. Tshisekedi, qui s’est entretenu avec plusieurs diplomates américains et européens, s’est vu renvoyer à ses obligations constitutionnelles quant au fait d’organiser dans les délais, autrement dit d’ici la fin 2023, l’élection présidentielle.

L’entourage de M. Tshisekedi y aurait-il vu la « main noire » du camp Katumbi ? Quoi qu’il en soit, n’ayant pas « les moyens de se mettre à dos l’hyper puissance américaine », pour reprendre les propos d’un diplomate, le président RD congolais, pressé de faire le deuil d’un éventuel glissement de calendrier (qui reste toutefois « possible », comme l’a écrit l’ancien président de la CENI, Corneille Naanga, dans une tribune récente, mais dans une mesure limitée), a manifestement décidé de lancer les hostilités contre celui qu’il considère comme son seul véritable adversaire et tirer le premier. Quitte à se retrouver bientôt à cours d’arguments et… de munitions.