En RDC, le candidat de la coalition d’opposition Lamuka a selon toute probabilité remporté haut-la-main l’élection présidentielle du 30 décembre dernier. A défaut de pouvoir enclencher son plan A – la proclamation d’une victoire de son dauphin Shadary -, Joseph Kabila envisagerait la mise en oeuvre d’un plan B – faire proclamer par la CENI la victoire de Félix Tshisekedi, arrivé vraisemblablement second du scrutin. Cette semaine, des discussions ont eu lieu entre les représentants du régime et les principaux leaders de la coalition Cach.
Que faire lorsque le candidat soutenu par ses deux rivaux les plus honnis, Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, a largement remporté l’élection présidentielle, au détriment de son dauphin ? C’est l’équation que tente, non sans difficulté, de résoudre actuellement le président Kabila alors que le scrutin du 30 décembre a été pour lui un véritable camouflet. Selon de très nombreuses sources, tant en interne qu’en externe, toutes concordantes, Martin Fayulu aurait réuni entre 58 et 62 % des suffrages, reléguant très loin derrière le dauphin putatif du président actuel, Emmanuel Ramazani Shadary, qui n’aurait lui réuni que 7 et 9 % des voix.
Un plan A – la proclamation de la victoire de Shadary – devenu irréalisable
Pourtant, au départ, il n’y avait, dans la tête du président et des stratèges de la majorité, qu’un seul plan : celui au terme duquel la victoire du dauphin serait proclamée. Mais celui-ci est devenu en l’espace de quelques jours irréalisable. Pour deux raisons : 1) la victoire probable de Martin Fayulu est d’une telle ampleur qu’elle rend tout tripatouillage subtil impossible (d’autant que le taux de participation est trop faible, en raison des soucis techniques rencontrés par les machines à voter le jour du vote, ainsi que de l’inversion dans l’affichage des listes électorales d’un bureau à l’autre pour confondre les électeurs, pour prétendre injecter des millions de voix en faveur de Shadary) ; 2) de fait, les résultats de l’élection sont désormais publics. « En réalité, tout le monde les a », confie un journaliste de renom, grand spécialiste du pays qui cite en particulier la SADC. Ces résultats proviennent de l’Eglise catholique, qui a déployé 40 000 observateurs à l’occasion de ces élections et disposent grâce à un système de remontée efficace, de la quasi-totalité des PV authentiques issus des quelques 74 000 bureaux de vote ouverts le jour du scrutin. L’information a dès lors rapidement circulé, permettant à l’ensemble des grandes chancelleries de disposer des résultats provisoires qui ne peuvent plus, compte tenu de l’écart de voix abyssal, évoluer désormais qu’à la marge.
Dans ces conditions, proclamer la victoire de son candidat, scotché à une probable troisième place avec un score très faible (de l’ordre de 7 à 9 %) est devenu illusoire. Seul un passage en force grossier, servi par une fraude clairement assumée et un déploiement militaire massif pour mâter la contestation populaire qui ne manquerait pas d’avoir lieu, pourrait l’imposer. Mais avec toutes les incertitudes que ce scénario présente, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Les troupes américaines sont pré-positionnées depuis le 2 janvier à Libreville au Gabon, prêtes à intervenir pour défendre, outre les citoyens et l’ambassade américains, également « les intérêts stratégiques de la politique des Etats-Unis », comme l’indique un courrier signé par le président Donald Trump et rendu public ce vendredi 4 janvier. Les armées des pays alentours ont également été mises ces derniers jours en état d’alerte. La CENCO, invitée à exposer ce mardi 8 janvier les conclusions de sa mission d’observation devant le Conseil de sécurité de l’ONU, a quant à elle prévenu : elle ne se taira pas si « la vérité des urnes » n’est pas respectée et considérera, en pareil cas, qu’il s’agit d’un « coup d’Etat constitutionnel », strictement prohibé par la Charte de l’Union Africaine.
Les avantages d’un éventuel plan B : la proclamation de la victoire de Tshisekedi
Face à la difficulté, pour ne pas dire l’impossibilité de mettre en oeuvre le plan A, Joseph Kabila envisagerait du coup la mise en oeuvre d’un plan B. Plutôt que de voir la CENI proclamer la victoire de Shadary, c’est Félix Tshisekedi qui serait déclaré vainqueur. Un « deal » avait déjà été négocié avant les élections entre le camp du pouvoir et le président de l’UDPS pour rendre plus acceptable la victoire de Shadary (lire à ce sujet l’article paru dans Le Point le 22 octobre 2018 : Ce coup que prépare Kabila et Tshisekedi).
Mais face au verdict des urnes, celui-ci n’est plus d’actualité. C’est désormais le candidat de la coalition Cach, arrivé deuxième du scrutin selon toute probabilité, avec entre 20 et 25 % des voix, qui est en position de force. Depuis une semaine, des négociations ont lieu entre les deux camps, comme la presse s’en est largement fait l’écho. A la manœuvre, Néhémie Mwilanya, le directeur de cabinet de Kabila, et le général John Numbi, l’un des derniers faucons du régime, d’un côté, de l’autre, Vital Kamerhe, le directeur de campagne de Félix Tshisekedi, resté très proche du pouvoir actuel. Vendredi, Félix Tshisekedi a échangé avec le ministre de la Justice Thambwe Mwamba au domicile de ce dernier. Samedi, le président de l’UDPS a rencontré Joseph Kabila en présence du président et du vice-président de la CENI, Nangaa et Bashengezi. Aujourd’hui, Félix Tshisekedi tient des propos pour le moins conciliants envers la CENI et se montre, à l’inverse, volontiers critique à l’égard de la CENCO. Mieux, le président de l’UDPS encense désormais Joseph Kabila : « il est évident qu’il pourra vivre tranquillement dans son pays, vaquer à ses occupations. Il n’a rien à craindre […] Un jour, nous devrons même songer à lui rendre hommage pour avoir accepté de se retirer », a-t-il déclaré, sans rire, dans une interview au quotidien belge Le Soir.
Contrairement aux apparences, pour le madré Kabila, le plan B est moins sacrificiel qu’il n’y paraît. « Il s’agit en réalité de se couper le doigt pour sauver le bras », confie une source haut-placée au sein de la majorité qui manifestement commence à sentir le vent tourner. Et celle-ci d’expliquer : « en réalité, en RDC, le président n’a aucun pouvoir à partir du moment où il ne contrôle pas le parlement. C’est la majorité parlementaire et le premier ministre qui en est issu qui comptent dans le système congolais. C’est pourquoi, même si Félix [Thsisekedi] est proclamé président, à partir du moment où il n’aura pas la majorité parlementaire, que tous les gouverneurs de province ne sont pas de son bord, et qu’il ne contrôle pas l’armée, comme c’est le cas du président actuel, il n’a aucun pouvoir. Il ne peut même pas nommer un haut-fonctionnaire car les décrets doivent être contre-signés par le premier ministre. Il est juste bon à inaugurer les chrysanthèmes. Souvenez-vous des difficultés de Joseph Kasavubu président face au premier ministre, le très remuant Patrice Lumumba. Et bien là, ce serait pareil », explique celui qui a exercé il y a encore deux ans de très hautes fonctions institutionnelles.
Dans l’esprit de Joseph Kabila, ce plan B viserait à desserrer l’étau de la contestation, en interne comme en externe, tout en garantissant à son système de se perpétuer. Mais ici aussi, il y a dans les rouages de ce scénario quelques malencontreux grains de sable. La majorité des Congolais s’est exprimée, et ceux-ci, de même que la CENCO et la communauté internationale, réclament désormais la stricte « vérité des urnes ». Envisager un tel stratagème alors que l’écart de voix avec le candidat vainqueur du scrutin est aussi abyssal et que l’information est désormais de facto connue de tous, rend ici aussi la manœuvre extrêmement délicate à opérer. « Shadary ou Tshisekedi, c’est bonnet blanc ou blanc bonnet. Tout candidat qui n’aura pas été valablement élu sera rejeté », avertit une des figures de La Lucha, l’un des principaux mouvements citoyens RD congolais.
Le plan C : l’invalidation des élections ouvrirait la voie à un nouveau glissement
Resterait alors pour Joseph Kabila un éventuel plan C. Celui de laisser proclamer par la CENI la victoire de Martin Fayulu avant que la Cour constitutionnelle, dont il a pris soin de remanier la composition en avril dernier, n’invalide le scrutin, lui permettant ainsi de rester au pouvoir jusqu’à l’organisation de nouvelles élections et l’investiture du prochain président. Une hypothèse périlleuse qui ouvrirait la voie à nouveau glissement. Mais la CENCO a, ici aussi, d’emblée prévenu : les irrégularités qui ont émaillé le scrutin du 30 décembre « ne sont pas de nature à entacher sa crédibilité », compte tenu de l’écart de voix considérable entre les différents protagonistes.
Au final, ce scrutin, que Joseph Kabila a tout fait pour retarder et fini par organiser après deux ans d’attente, ne s’est pas déroulé comme il l’aurait souhaité, ni anticipé. « Nous avons été surpris lors de la campagne électorale par la mobilisation en faveur d’un des candidats qui n’était pas le nôtre, puis le jour du vote par le taux de participation malgré tout plus important que prévu », concède le même haut responsable de la majorité. En RDC, le piège que Joseph Kabila avait pensé tendre à ses adversaires est peut être en train de se refermer sur lui.