Par Jacques Vallon Kabulo, notre correspondant à Lubumbashi
Une centaine d’attaques commises par les ADF et plus de deux cent morts à Beni, ville martyre du Nord-Kivu. 4 millions de déplacés internes sur l’ensemble du territoire. Un chômage endémique. Des prisons remplies de prisonniers politiques, opposants et activistes. Deux épidémies d’Ebola (dans le nord-ouest puis dans l’est) rien que cette année… C’est dans ce contexte que se dérouleront les élections le 23 décembre prochain en RDC, après bientôt 18 ans d’un pouvoir émollient de Joseph Kabila.
Trois faits indiquent que les dirigeants RD congolais sont dans tous leurs états en cette période pré-électorale : la réunion d’évaluation sécuritaire dans la 3ème zone de défense, la réunion inter-institutionnelle élargie à la CENI et la tension montante entre majorité et opposition (au sein de laquelle certains ont changé de pied…) au sujet de la machine à voter.
C’est dans cette ambiance, hautement électrique, que va se jouer l’avenir politique et démocratique de la RDC, le plus grand pays francophone du monde et l’un des plus peuplés d’Afrique.
Sécuriser les machines à voter plutôt que les populations, là est la priorité
Le haut commandement militaire s’est réuni en début de semaine dernière pour évaluer la situation sécuritaire dans la troisième zone de défense, à l’est du pays, épicentre de toutes les horreurs commises par l’activisme froid et meurtrier des groupes armés.
Subissant les incursions permanentes des ADF, le territoire de Beni semble être le plus affecté depuis le début de l’année : en moyenne de 20 personnes tuées par mois. Les activités commerciales, scolaires et autres sont régulièrement paralysées.
Face à cette situation, l’efficacité des FARDC est souvent mise en cause. Raison pour laquelle le haut commandement de l’armée a décidé, au terme d’une réunion d’évaluation, d’augmenter le nombre des forces de la police et de l’armée dans la perspective des élections du 23 décembre prochain.
Mais s’agira-t-il de sécuriser la population ? Point du tout. Ce sont les kits électoraux qu’il faudra protéger et le scrutin qu’il faudra surveiller. La sécurité des personnes et, accessoirement, de leurs biens, elles, attendront, reléguées qu’elles sont au second plan.
Révoltée à juste titre par l’inaction du pouvoir (et l’inefficacité de la MONUSCO, dont les troupes sont pourtant massivement présentes) la population de Beni a gagné la rue pour exprimer son ras-le-bol suite à une énième tuerie, samedi 20 octobre, qui a fait douze morts dont 4 femmes et un enfant. Depuis octobre 2014, c’est plus de 2 500 vies qui ont été fauchées à Beni sans que cela ne suscite beaucoup d’émotions et encore moins de réactions de la part du pouvoir congolais et des dirigeants la force onusienne.
Retour sur le contexte électoral
A deux mois de la grande joute électorale, mêlant présidentielle, législatives et provinciales, la température monte au sein de la classe politique RD congolaise sur fond d’invectives, de contestations, de supputations et de blocage de l’expression démocratique, etc.
Corneille Nangaa, le président de la Commission électorale nationale indépendante, un organe totalement soumis au pouvoir, a pris part à la réunion inter-institutionnelle qui a eu lieu jeudi dernier et dont l’ordre du jour portait sur le processus électoral en cours.
Ce qui en ressort ? La confirmation que 21 candidats brigueront la présidence de la République. Parmi eux, des personnes célèbres, d’illustres inconnus et d’anciens candidats malheureux. Une liste complétée, pour faire bonne mesure, par des autodidactes et des apprentis sorciers. Chacun a versé sa caution certes. Mais on attend toujours d’être fixé sur le montant de leurs budgets de campagne et sur la source du financement de celle-ci (quid en particulier de Vital Kamerhe et de l’UNC ?). En outre, ces candidats ont-ils fait, comme la loi l’exige, une déclaration préalable de patrimoine ? La transparence du scrutin est censée être totale, tout comme le respect de la loi électorale. Mais, dans le contexte actuel, il s’agit sans doute là d’un vœu pieux.
En outre, se pose la question de l’égalité de traitement entre les candidats, conformément aux dispositions de l’article 110 de la loi électorale. Cela vaut également pour leur sécurité Or, jusqu’à présent, de ce point de vue, tous les candidats n’étaient pas logés à la même enseigne. C’est pourquoi le 17 octobre dernier, la police a dégagé 525 éléments parmi les forces de l’ordre qui vont constituer l’unité de protection des candidats présidents. Soit 25 policiers par candidats.
Tensions sur la machine à voter, changement de pied de l’UDPS à ce sujet
Si les candidats à l’élection présidentielle devraient peu ou prou bénéficier du même nombre d’éléments pour leur service de sécurité, ils sont en revanche très divisés sur le recours de la machine à voter. « Celui qui ne veut pas entendre parler de la machine peut sortir », a déclaré à plusieurs reprises Corneille Nangaa, le président de la CENI. Le fait est que 11 des 21 candidats retenus par le pouvoir pour participer à ce qui risque fort d’être une parodie d’élections sont opposés à son utilisation.
Étrangement, certains de ces candidats à l’élection présidentielle ont subitement changé d’avis au sujet de la machine à voter (qualifiée par beaucoup en RDC de machine à voler ou à tricher). C’est le cas notamment de Ngube Ngube. Mais le revirement le plus spectaculaire est sans doute le fait de Félix Tshsisekedi, le leader de l’UDPS, dont les principaux lieutenants, qui tiraient encore récemment à boulets rouges contre la « MAV » sont devenus depuis quelques jours très complaisants à son sujet. « Nous nous devons de dire la vérité au peuple : en réalité, la machine à voter ne constitue qu’un prétexte pour ne pas aller aux élections », vient de déclarer sans rire le directeur de cabinet adjoint de Félix Tshisekedi.
En athlétisme, cela s’appelle changer de couloir et c’est interdit. En politique, cela s’appelle retourner sa veste et trahir son camp. Aux électeurs, si tant est que leur vote soit respecté, d’en juger.