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Denis Mukwege, prix Nobel de la paix : la récompense d’un homme qui n’est pas (encore) prophète en son pays

Denis Mukwege, lauréat 2018 du prix Nobel de la paix © DR

Le médecin de l’hôpital de Panzi, « l’homme qui répare les femmes » mutilées et violées dans la province du Sud-Kivu en RDC, s’est vu décerné aujourd’hui le prestigieux prix Nobel de la paix qui lui avait échappé de peu l’année dernière. 

Son téléphone ne cesse sans doute pas de sonner depuis qu’il a appris ce matin, en même temps que le reste du monde, la bonne nouvelle. Denis Mukwege est, aux côtés de Nadia Murad, l’ex-esclave de Daech devenue porte-parole des Yazidis en Irak, le lauréat 2018 du Prix Nobel de la paix. Ce médecin, né il y a 63 ans à Bukavu, chef-lieu de la province du Sud-Kivu succède notamment à l’un de ses modèles, Nelson Mandela.

Ce prix vient saluer le travail remarquable effectué depuis de longues années par le Docteur Mukwege dans cette partie de la RDC où le viol s’est peu à peu imposé comme une arme de guerre, prenant des proportions dramatiques, et où les mutilations génitales sont monnaie courante.

Beaucoup plus connu à l’international qu’en RDC

Sur Twitter, plusieurs personnalités RD congolaises ont tenu à saluer ce prix. C’est le cas notamment de Moïse Katumbi, poids lourds de l’opposition en RDC, qui a été l’un des premiers à réagir.

Mais au Congo-Kinshasa, hormis la classe dirigeante et intellectuelle, peu nombreux sont en réalité ceux à connaître le Dr Mukwege. « Si vous sortez de Panzi, que vous vous rendez à Bukavu, la capitale du Sud-Kivu, et que vous interrogez les gens dans la rue, personne ne sait de qui il s’agit », reconnaît un de ses confrères médecin avec qui il a travaillé.

Là est peut être le principal défi de cet homme régulièrement pressenti pour prendre la tête d’une transition citoyenne sans Joseph Kabila. « Il cultive davantage son image à l’international que sa popularité à l’intérieur du pays. Or, quand on veut peser sur le destin d’une nation, ce qui est souhaitable dans son cas, il faut se rapprocher de ceux qui ont de l’influence sur la population », explique un universitaire RD congolais qui vit en Afrique du Sud et le connaît bien.

On en est loin. « On le connait de nom, de réputation, on l’a croisé parfois mais il n’a jamais fait la démarche de venir vers nous », confirme un opposant, « alors même », ajoute-il, « que notre aspiration est commune : apporter l’alternance et la paix en RDC grâce à des élections libres, crédibles et inclusives sans machine à voter ».

L’homme de la transition sans Kabila ?

C’est peut être là l’un des principaux handicaps que devra surmonter cet homme d’un naturel discret s’il veut peser sur le cours de l’Histoire en RDC à un moment où Joseph Kabila s’apprête à organiser un ersatz d’élections pour perpétuer son régime kleptocratique. « Les problèmes que le Dr Mukwege traite sont très importants. Mais le Congo est très grand. La région de Panzi est petite et le Sud-Kivu n’est qu’une des vingt-six provinces que compte le pays. Il y a beaucoup d’autres problèmes à traiter ici. Il pourrait beaucoup nous apporter s’il acceptait de travailler en équipe », fait valoir l’une des figures de l’opposition qui l’apprécie.

Si le docteur Mukwege veut contribuer à changer le destin des plus de 80 millions de Congolais, il devra forcer sa nature, descendre dans l’arène politique et prendre contact avec ceux qui ont une réelle influence auprès de la population, à commencer par l’Eglise catholique et l’opposition. C’est à cette condition que « l’homme qui répare les femmes », titre du remarquable documentaire que le journaliste belge Thierry Michel lui a consacré, pourrait prochainement devenir « l’homme de la transition sans Kabila » et être ainsi, enfin, prophète en son pays.