Dans un communiqué conjoint diffusé jeudi soir, ces trois organisations ont appelé à suspendre la publication des résultats définitifs de l’élection présidentielle en RDC. Une délégation de chefs d’Etat et de dirigeants, pilotée par le président en exercice de l’Union Africaine, le Rwandais Paul Kagamé, doit se rendre prochainement à Kinshasa pour discuter de la suite du processus. Pour Joseph Kabila, cette décision est un véritable camouflet. Elle marque probablement la fin d’un règne chaotique, le sien, long de près de deux décennies, sur le plus grand pays d’Afrique francophone.
C’est une décision historique. Pour la RDC comme pour le reste de l’Afrique.
« Les chefs d’État et de gouvernement qui ont participé à la réunion ont conclu qu’il y avait de sérieux doutes sur la conformité des résultats provisoires proclamés par la Commission électorale nationale indépendante avec les suffrages exprimés », indique le communiqué publié sur le site de l’Union africaine (UA). « Par conséquent, les chefs d’État et de gouvernement ont appelé à la suspension de la proclamation des résultats définitifs des élections », poursuit celui-ci. Une délégation de haut-niveau, comprenant le président en exercice de l’Union africaine, le Rwandais Paul Kagame, le président de la Commission, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, ainsi que d’autres chefs d’État, doit se rendre « urgemment » en RDC afin de créer un consensus pour sortir de la « crise post-électorale ». Une tournure diplomatique pour signifier que les autorités RD congolaises actuelles et leurs institutions (CENI, Cour constitutionnelle, etc.) sont dessaisies de la poursuite de la conduite du processus électoral.
Paul Kagamé, Joao Lourenço, Alpha Condé, etc.
Cette décision a été prise à l’issue d’un huis clos entre les chefs d’Etat, auquel aucun représentant RD congolais n’a participé. Le Rwandais Paul Kagamé, président en exercice de l’Union Africaine, y a pesé de tout son poids. De même qu’un certain nombre de chefs d’Etat de la sous-région, l’Angolais Joao Lourenço, le Congolais Denis Sassou Nguesso, président en exercice du CIRGL, le namibien Hage Geingob, son homologue de la SADC, le Sud-africain Cyril Ramaphosa (qui, bien que partagé à l’origine, a fini par se ranger à l’avis de ses pairs) mais aussi le président guinéen Alpha Condé, qui s’est particulièrement engagé.
Furieux, les représentants du régime de Joseph Kabila à Addis Abeba (Léonard She Okitundu, Barnabé Kikaya Bin Karubi, Jean-Claude Mokeni Ataningamu et Bene M’poko) ont refusé, sans surprise, de signer le communiqué de final. « On lui a fait un bébé dans le dos », a commenté une source à nos confrères de Jeune Afrique dans une allusion à Joseph Kabila.
Partition diplomatique subtile
Il faut dire que les diplomates l’ont finement joué. La communauté internationale, au premier rang desquels les pays européens et les Etats-Unis, se sont montrés discrets, mettant à profit ces derniers jours pour accorder leur stratégie à celle de l’Union Africaine, perçue comme l’organe le plus légitime. « Mais entre Kigali [où se trouve le président en exercice de l’UA], Addis Abeba [où réside le président de la commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat] et les capitales africaines et du monde entier, le téléphone n’a pas cessé de chauffer », commente une source bien introduite.
Fine également a été la partition jouée entre l’UA et la SADC. Cette dernière a publié cet après-midi un projet de communiqué creux, insipide. Mais il ne se serait agi que d’un leurre. Quelques heures plus tard le véritable communiqué tombe et il est signé conjointement par l’UA, la CIRGL et la… SADC. D’où l’impression qu’ont les proches de Joseph Kabila ce soir qu’on leur a fait « un bébé dans le dos ». De fait, jusqu’au bout, l’UA et la SADC ont bien caché leur jeu. Question d’efficacité.
Dans les couloirs du quartier général de l’Union Africaine à Addis Abeba, l’ambiance, tendue cet après-midi, était ce soir au soulagement et même aux réjouissances. « Cette décision met un coup d’arrêt à la mascarade électorale en cours en RDC », a commenté le président d’un grand pays d’Afrique de l’Ouest, qui a mis tout son poids dans la balance lors de la discussion. Elle met également probablement un terme au 18 années de pouvoir en RDC de Joseph Kabila qui, jusqu’au bout, aura tenté de perpétuer son régime en faisant désigner vainqueur de l’élection présidentielle par la CENI un « opposant » docile, Félix Tshisekedi, qui l’aurait été d’autant plus que le camp de Joseph Kabila s’est taillé la part du lion lors de ces élections, s’octroyant une large victoire aux législatives et aux provinciales, deux scrutins décisifs pour le contrôle du pouvoir compte tenu de la nature semi-présidentielle du régime RD congolais.
Fin de partie pour Joseph Kabila qui perd la main
Mais ce beau scénario s’est finalement fracassé sur trois écueils. D’abord, une institution tierce détient « la vérité des urnes », ce qui est sans précédent en Afrique et devrait donner à réfléchir. Il s’agit de la CENCO qui a déployé une mission d’observation de 40 000 personnes lors de ce scrutin. Très respectée, l’Eglise catholique dispose de la quasi-totalité des PV authentiques issus des quelque 74 000 bureaux de vote ouverts le 30 décembre dernier. Or, les chiffres en sa possession, très tôt distillés auprès des chancelleries, différaient très sensiblement de ceux proclamés par la CENI.
Ensuite, l’enquête conjointe menée par un pool de médias (Financial Times, RFI, TV5) en collaboration avec le Centre d’étude sur le Congo (GEC), piloté par le chercheur Jason Stearns, aura elle aussi été décisive. En rendant publiques cette semaine les données brutes de l’élection présidentielle provenant de la CENCO et de fuites de la CENI, elle a incontestablement incité les dirigeants africains à agir. Face à l’existence d’une vaste fraude, étayée par des preuves irréfutables et révélée au grand public dans le monde entier, il était impossible à l’UA, comme aux autres organisations africaines, de rester les bras croisés, sauf à perdre toute crédibilité.
D’autant plus que, et c’est le troisième point, l’écart de voix en faveur de l’opposant Martin Fayulu est manifestement abyssal. Celui-ci était crédité de 60 % des voix à la présidentielle contre moins de 20 % à ses deux principaux adversaires, Emmanuel Ramazani Shadary et Félix Tshisekedi. Il ne s’agissait donc pas d’un petit tripatouillage mais d’une méga-fraude, impossible à cautionner.
La décision prise ce soir par l’UA, conjointement avec la SADC et la CIRGL, est probablement historique ; pour la RDC qui vient probablement aujourd’hui de tourner la page de dix-huit années au pouvoir de Joseph Kabila, celui-ci perdant la haute-main sur un processus électoral qu’il a tenté de contrôler de bout en bout ; mais également pour le reste de l’Afrique. Les dirigeants qui tenteront, comme hier en Gambie ou aujourd’hui au Congo, de confisquer le vote de leur peuple y réfléchiront sans doute désormais à deux fois…